11 FEBRUARY 1938, Page 16

CONSULTEZ LES AFFICHES

[D'un correspondant parisien]

DE nos jours ce n'est que par les details que les peuples different. Parfois pourtant un detail suffit pour evoquer route tine race. Ainsi les septentrionaux (designation peu scientifique mais commode) se servent de plus en plus de leurs journaux, tandis que les latins hesitent a abandonner leurs affiches. Jamais it ne viendrait a l'idee d'un Anglais ou d'un Americain, par exemple, de se promener par les rues pour prendre connaissance des communications du gouverne- ment, des avis des services publics, ou simplement des demandes et offres d'emplois. II est silt de trouver tout cela dans les gazettes, aussi bien parmi les informations que parmi les annonces. Le Francais moyen, toujours con-, servateur meme lorsqu'il profere des propos incendiaires, n'use du journal qu'avec timidite ; il ajoutera volontiers au bas de son annonce : " Pour tout autre renseignement con- sultez les affiches."

Si l'affiche reste vivace en France c'est parce qu'elle compte parmi les traditions de la rue—celle d'avant l'automobile. La rue alors avait deux aspects. D'une part c'etait un spectacle- les terrasses, les echoppes, les camelots, les marches le long du ruisseau. Si le Parisien s'est fait une reputation de flaneur c'est parce qu'il y avait un spectacle pour l'inciter flatter. L'autre visage etait plus severe. On din encore " descendre dans la rue " pour signifier manifester. Lorsque le peuple descendait dans la rue, c'etait une bagarre, tine emeute ou meme une revolution. La rue tenait place de forum. II etait donc naturel d'y afficher tout, depuis les proclamations jusqu'aux frivolites, en passant par les libelles.

L'affiche blanche, reservee aux seules autorites, a jalonne notre histoire moderne, aussi bien le coup d'etat de Louis- Napoleon que la mobilisation de 1914. C'est par affiche blanche que Gallieni annoncait qu'il remplirait jusqu'au bout sa mission de defendre la capitale ; c'est par affiche blanche egalement que Monsieur le Maire tient ses administres au courant de la vie communale. Pent-etre ces affichages sont-ils defenciables meme a l'epoque de la radio et de l'avion. Mais que dire de l'affichage dans les 38,000 communes de France de la declaration ministerielle chaque fois qu'un nouveau cabinet se presente devant le Parlement ? C'etait bon au temps des diligences. Aujourd'hui c'est une depense sans objet puisque tout citoyen trouve ces declarations dans son journal. Le meme argument peut servir pour condamner l'affichage des discours de deputes ou de senateurs. C'est precisement une proposition de resolution deposee au Senat qui a suggere la presente chronique. Actuellement c'est sous l'empire de l'eloquence qu'on demande l'affichage d'un discours ; l'auteur de la proposition voudrait a l'avenir qu'on attendit de l'avoir lu. Il estime que le fond importe autant que la forme et qu'il faut se mefier du bercement des belles paroles. Car ici l'affichage tient lieu d'hommage, de recompense. II serait aise, par contre, d'en faire une punition, un genre de pilori. C'est pourquoi le Conseil d'Etat, statuant en dernier ressort, vient de rappeler aux maires qu'ils sont autorises a afficher seulement les arretes contenant des dispositions generales. Quant aux particuliers, le Code, cela va de soi, punit l'affiche diffamatoire. On parle meme d'etendre aux affiches le droit qu'a tout citoyen de repondre au journal qui l'a nomme. Car la polemique s'etale sur les murs aussi bien que dans la presse. Les partis politiques, les groupements corporatifs, voire les individus, y exposent leurs doctrines. Feu Francois Coty avait beau diriger deux journaux quotidiens, it placardait egalement ses articles sur tom les murs de France et dc Navarre. II y a mieux : certaines gem affichent leurs affaires personnelles. Naguere un brave Parisien se ruinait chez l'imprimeur pour reciter ses doleances, domestiques et autres. Et malgre le developpement des annonces dans les journaux, le petit peuple a toujours recours aux affiches manuscrites pour les offres et les demandes. Depuis plusieurs generations on les tolere tacitement sur certain emplacements, meme s'ils sont loues a des entrepreneurs de publicite. Les affiches commerciales n'entrent pas dans le cadre de cet article. Du reste elles se ressemblent toutes maintenant d'un pays a l'autre et, en France comme ailleurs, soulevent le probleme de la protection des monuments et des . sites. Pour le reste, le voyageur etranger qui veut comprendre la France ferait Bien de consulter les affiches.