12 MARCH 1937, Page 16

EN ECOUTANT LA RADIO

[D'un correspondant parisienI

" Qu'EsT-CE qui vous a le plus frappe cette fois ?" demandait- on l'autre jour a un colonial en conga apres deux ans d'Afrique.

II repondit : " Moi, la politique me laisse froid. La-bas, dans la brousse, tous vos discours et toutes vos querelles partisanes nous semblent oiseuses. Nous autres coloniaux, nous voudrions etre des realisateurs. Pour nous, c'est le resultat qui compte, non pas les palabres. C'est sur les actes que nous jugeons les hommes, non pas sur les paroles. Mais, d'autre part, dans la solitude on observe beaucoup et on reflechit beaucoup apres avoir observe. Des Mon arrivee a Paris j'ai constate une chose assez banale ; elle a provoque chez moi mute une serie de reflexions. Je ne pourrais mieux repondre a votre question qu'en vous en indiquant le tours.

" A mon arrivee en France il y a deux ans tous les taxis affichaient : Voiture munie de T.S.F.' Ce fut pour moi un grand etonnement. Ecouter la radio meme dans la rue ! J'en etais renverse. Cette fois j'ai constate que les appareils avaient disparu et mon etonnement n'a pas ate moindre. Je ne compre- nais pas pourquoi on les avait installes ; je ne comprends pas non plus pourquoi on les a enleves. Cela m'a conduit a essayer d'evaluer la place qu'occupe la T.S.F. dans votre vie quotidienne. Et je suis arrive a penser d'elle ce qu'Esope pensait de la langue.

" Pour vous autres, maintenant que le moindre hameau a ses sans-filistes, l'accoutumance n'incite plus a philosopher.

En Haute-Volta ou au Niger, vous pensez bien que les ecouteurs sont rares. Done quand nous rentrons en France nous decouvrons la T.S.F. a nouveau et, tres objectivement, nous pouvons en saisir les inconvenients aussi bien que les avantages. J'avoue, toutefois, que c'est beaucoup une question d'ambiance. La-bas, dans l'isolement, certains avantages sautent aux yeux ; ici . . "

Le colonial laissa la phrase inachevee. Apres un silence, il reprit : " Par hasard je suis tombe en pleine p &lode electorate ssns-filiste. Vous venez d'elire vos representants aux conseils de gerance des posses d'ernission d'Etat. D'abord je fus stupefait d'apprendre que les electeurs s'appretaient a voter salon leurs opinions politiques. Mais on m'expliqua que to politique avait envahi la radio-diffusion. Pour m'en assurer, recoutais plusieurs programmes. En effet, ils corn- portaient des causeries, des conferences, des revues de presse, toutes franchement politiques. Ce n'etait plus de la discussion ou de l'information, mail tout bonnement de la propagande.

" Or la propagande ne peut produire de resultat qu'a condition d'etre conduite de main de maitre. Autrement elle peut fort bien se retourner contre ceux qui s'en servent. C'est une question de doigte, de dosage. En un mot, la propagande devrait etre subtile ; il lui faut redouter le pave de l'ours. Prenez mon cas. En trois jours j'ai entendu douze causeries politiques. Elles etaient de gauche, puisque nous avons un gouvernement de gauche. Mais elks auraient eta de droite que cela n'aurait rien change a mon etat de saturation. Le quatrieme jour, quand on m'a propose d'ecouter la T.S.F., j'ai prefere jouer aux cartes.

" Pourtant, ces causeries etaient, en somme, une nouveaute pour moi. Par contre, je me demandais ce qu'en pensait le travailleur qui, la journee fink, cherchait a se distraire. La reponse est venue avec le resultat des elections pour les conseils de gerance. Les candidats de gauche ont ate battus presque partout. Je suis prat a parier que parmi la majorite ii y avait une proportion d'adherents au Front Populaire. Apres avoir subi tant de harangues, c'etait une facon d'exprimer leur preference pour la chansonnette et les airs de jazz.

" Je ne veux pas medire de la T.S.F. Loin de la. Mais il est possible d'abuser des meilleures choses. C'est la seule moralite que je voudrais tirer de tout cela. Puis-je ajouter, neanmoins, que certaines applications de la radio me donnent la chair de poule ? je lis dans les journaux, par exemple, qu-il conviendra d'installer des postes recepteurs dans les abris contre les bombardements aeriens. Je lis aussi que les gouvernementaux espagnols montent a I'assaut au son d'un haut-parleur. Quel sujet pour un peintre de batailles ! Quant

moi, cela me donne la nostalgia de la brousse."