13 MARCH 1936, Page 16

Le Boeuf Gras

[D'un correspondant parisien] La 19 mars proehain, a l'occasion de la fete de la Mi-Careme, Paris fern revivre rune des plus vieilles traditions connues

en France : he cortege du Boeuf Gras. Apr& les sinistres annees de la guerre, la reprise de cette manifestation populaire, autrefois si goiitee, et toujours si fievreusement attendue, await etc differee en raison de In crise economique, ainsi que du malaise et de l'insecurite qui assombrissaient les esprits.

Ce defile est une ancienne coutume que nous devens tres vraisemblablement au paganisme. Les Grecs et les Romains l'avaient eux-memes empruntee aux Egyptiens ; la ceremonie se celebrait alors a Pequinoxe du printemps, a l'epoque oft le soleil entrait dans he signe du Taurean. En ces mettles temps, les Gaulois immolaient aussi un taureau, gulls revetaient pour le sacrifice d'tme etole sacerdotale ; apres eux, les Francs adopt erent un identique ceremonial. Au fur et a mesure que le christianisme penetra dans les Gauies, is coutume du Boeuf Gras perdit son caractere sacra pour se transformer en un simple divertissement. Parini les privileges dont jouissait, an XVe siècle, la puissante corporation des maigres bouchers de Paris, figurait celui de fournir he boeuf du cortege et de pourvoir a toutes les depenses du defile.

L'usage de promener ainsi le Boeuf Gras disparut an moment de la Revolution ; it ne fut retabli, par Bonaparte, qu'apres lc 18 Brumaire et maintenu sous tous les regimes, jusqu'a la Republique de 1848, qui le supprima. On le revit en 1850 et pendant toute la duree du Second Empire.

N'est-il pas curieux de remarquer, a ce propos, combien, en &pit des siecles ecoules, nous nous tmuvons relativement peu eloignes des peuples qui nous ont precedes ? La chains qui nous relic a eux, et dont nous representons les derniers maillons, est, an fond, asset courte, puisque nous voyons subsister, dans les divers actes de notrc existence, les vestiges des traditions qu'ils nous ont leguees. Pour qui a qualm: peu scrute les moeurs et les coutumes des provinces francaises, it est de toute evidence qu'on y retrouve, vivaces et a pcine modifiees, diverges pratiques dont les racines puisent leur, sue clans un soh plusieurs fois seculaire. Ne voit-on point encore, dans certaines de nos campagnes, les cultivateurs, pour attirer sur leur famille et sur leurs animaux domestiques les bene- dictions celestes, deposer en offrande, sur les autels de l'eglise paroissiale, les premises de leur recolte et les premiers produits de leur ba.sse-tour ? Est-il temeraire de fleecier, en cc geste pieux, le rappel des presents que nos aneetres, jadis, dediaient a Ceres et a Pomone ? Dans d'autres contrees, a une date deternainee et immuable, les fermiers rassemblent leurs troupeaux de hetes a conies et les conduisent autour de l'eglise du village ; lit s'organise une procession solennelle is Tissue de laquelle les animaux sont benis en grande pompc par he pasteur. Comment ne pas reconnaitre en ces rites la reminiscence, sous une forme heureusement moires barbare, des sacrifices sanglants que les Grecs ft les Romains offraient aux dicux pour apaiser leur cohere ou implorer leur bien- veillance Que voir, enfin, dans les solennites qui reunissent les fideles autour d'un elerge dormant sa benediction it la mer, a une flotille de pecheurs, a un navire nouvellement construit ? C'est la, assurement, la perpetuation des invoca- tions que nos ancetres adressaient au Poseidon de la mythologic hellenique ou an Neptune de Rome, pour &after he courroux de la tempete.

Mais, revenons it la fete projetee par la ville de Paris en ce jeudi de la Mi-Careme, *et precisons que la manifestation se deroulera sur un parcours de 12 kilometres—de la Porte de Versailles it la Porte de Pantin--reliant ainsi les deux import- ants abattoirs de la capitale Vaugirard et La Villette. Le cortege sera compose de six chars principaux; plusieurs autres de moindre importance seront annexes au defile officiel. Le tout sera encadre par 600 figuranti, chorister et musiciens. Des trompettes, des cors de Chasse et plusieurs orchestres propageront Panimation indispensable a un si joyeux ensemble. Le char du Boeuf Gras, le plus imposant, sera precede dc sept vaches maigres. Faut-il voir, en ce tableau pittoresque, une allegoric rappelant he fameux rave du pharaon mentionne au Livre de in Genke ? Et eette evocation serait-elle, depuis sept ans bientot que sevit la crise, he burlesque, mais heureux presage de la fin, si ardemrnent souhaitee, du marasme