14 AUGUST 1936, Page 15

L'Annonce Faite Par Marie

[D'un correspondant parisien] D'AL•CUNS pretendent que In chute du cabinet Blum est proche. Certaines feuilles en indiquent mettle la date. Ce serait pour

Ia mi-octobre, is la suite du congres du parti radical. Nul n'ignore que les congres radicaux sont dangereux pour les coalitions. Mais it se peut aussi que les adversaires du minis- tere prennent leurs desks pour des realites.

II y a un indice plus serieux: tant a droite qu'is gauche on parle beaucoup de responsabilite. L'opposition dit : " Si l'experience Blum echoue, nous entendons &gager notre responsabilite. Nous n'avons rien fait contre elle ; nous l'avons parfois soutenue de nos votes. Done l'experienee n'echouera pas de notre fait ; elle n'est pas viable parse que les lois naturelles sont plus fortes que les lois artifieielles." Du cote socialiste on dit egalement : " Si !'experience Blum &hone, nous entendons &gager notre responsabilite." Mais on ajoute : " II faudra s'en prendre aux riches, aux ennemi, des travailleurs, qui sournoisement travaillent contre nous." Senat, a la Chambre, dans les reunions publiques, it n'est question que de responsabilite en cas d'insucces. Le president du conseil pourrait dire, lui aussi : " On ne park que de ma rnort lit-dedans."

Tout porte a croire que ce sera la vie chore qui renversera le ministere, comme elle en a renverse beaucoup d'autres. Qui est responsable de la vie chore ? Apres tant d'economistes et de politiciens, demandons-le is Marie.

Marie vient chez nous pour le gros ouvrage. C'est une brave fille, non depourvue d'intelligence, mais rest& primaire. Elk trouve sa politique dans le journal et son economique chez les eommeres du lavoir. Comme tout le monde, elle s'inquiete de l'avenir. Comme tout k monde aussi, elle presente ses " revendieations." Nous aimons is l'entendre commenter les evenements.

Or voici ce qu'annonrait Marie it n'y a guere : " Hier if y await une reunion. C'est un communiste qui parlait. 11

parlait si bien que c'etait plaisir de !'entendre. Il disait qu'il fallait dormer beaucoup de choses aux enfants pauvres—des galoches, des tabliers, des chaussures. Et puis it failait les envoyer a in mer ou is Ia montagne pour les vacances. II disait encore qu'il failait tnieux payer les travailleurs et donner plus aux chomeurs. Alors on va le faire. Et ce sera tres juste."

L'un de nous interposa : "Mais, Marie, qui paiera tout eels ? Les temps sont durs et les charges sont lourdes. Qui paiera ? " Interloquee, Marie repondit : " Qui paiera ? Mais la ville, pour sfir." Nous comprirnes que dans son esprit " la ville " representait une source intarissable. Elie ne s'inquietait pas d'apprendre qui l'alimentait. Il suffisait de dire : " La ville paiera."

Mais hier Marie suffoquait d'indignation. Elle disait : " Tout augmente. Et it y aura encore plus d'impots. On

vient de dire a ma mere qu'il faudra payer patente depuis

qu'elle a pris une gamine pour l'aider dans sa confection pour Paris. Ce n'est pas juste. 11 faut faire payer les autres, les riches." Inutile de la raisonner, d'expliquer que c'est l'impot qui permet a la vile d'acheter des galoches. Obstinement elle repetait : " Non, ce n'est pas juste. Il faut faire payer les autres." Nous sommes tous un peu comme Marie. Nous tendons nos tabliers pour recevoir, mais nous nous insurgeons s'il faut dormer. En verite, rid& de l'Etat Pactole n'est pas neuve.

Il y a cent ans Louis-Philippe recevait chaque jour les placett — " requetes pour une nouvelle ecole, une eglise qui menace

mine, un clocher qui va s'ecrouler, une mairie, toms les desks, toutes les ambitions, tous les raves du Francais moyen s'aecu- mulaient la, dans ces petits tas de papiers qui vont s'entasser aux archives, dans le silence et l'oubli."

Pendant dix-huit ans Louis-Philippe put negliger les placets. Mais aujourd'hui on les adresse is 600 deputes qui, eux, ne peuvent les negliger, car ifs ne sont elus que pour quatre ans. On leur demande parfois des mairies, mais surtout des pen- sions, des allocations, des indemnites, des gratifications.

Voila pourquoi le gouvernement actuel, en arrivant au pouvoir, trouva un bilan qui se traduisait par 17 milliards is

payer, sans ressources. correspondantes. Voila pourquoi cc meme gouvemement continue d'augmenter les depenses. Voila pourquoi la vie reste there. Et voila pourquoi le cabinet Blum tombera, quoi qu'en fasse le congres radical.