14 JANUARY 1938, Page 16

REMEMBREMENT

[D'un correspondant parisien] Vous ne trouverez pas dans votre dictionnaire le mot remembre- ment. Mais it figurera certainement dans la prochaine edition, car il est entre definitivement dans in langue. Inutile de dire qu'il signifie le contraire de demembrement. Ce n'est que recemment que le besoin de cet antonyme s'est fait senor. L'histoire en est interessante.

Sous la Revolution l'Assemblee constituante, puis In Con- vention nationale s'inquieterent de refondre le regime succes- soral. Elles supprimerent d'abord le droit d'ainesse et autres vestiges du passé ; puis elles attribuerent aux enfants des parts egales, apres quoi seulement le testateur pouvait disposer a son gre de la quotite disponible. Tout cela f it incorpore ensuite dans le Code civil ; en vertu de Particle 826 chaque coherider a le droit de demander sa part en nature des meubles et immeubles de la succession. A l' epoque cela paraissait equitable, democratique et definitif.

Cent ans plus tard les avis tendaient I changer, tout au moires en ce qui concerne in propriete rural. Le Play, Tocqueville, Taine, d'autres sociologues, avaient critique severement le partage force des biens ruraux et demontre que le morcelle- ment des terres, si democratique puisse paraitre, conduirait I in pauperisation du paysan. Its avaient raison. Apres avoir beaucoup demembre, il a fallu inventer le remembrement- le mot et la chose.

Le voyageur qui traverse la France pendant In belle saison est frappe surtout de l'aspect de damier multicolore que presen- tent nos regions de petites cultures. Le peintre peut y trouver des effets de lurniere ; le paysan n'y mauve trop souvent que surcroit de peine et diminution de rapport. Par definition le domaine familial comporte simplement les terres necessaires pour subvenir I l'existence du cultivateur et des siens. Avec le partage force it ne faut que peu de generations pour arriver

a un morcellement tel qu'aucune part ne suffira plus a son proprietaire pour vivre. II deviendra alors fermier, metayer, tacheron, ou meme abandonnera tout pour aller I la

Evidemment il arrive que l'accord se fasse entre coheritiers et que la stricte regle legate soit evitee, pour le plus grand bien de tour. Mais it arrive aussi, et trop souvent, que chacun reclame sa part des biens meubles et immeubles ; c'est alors le partage destructeur ou la vente. L'application d'un principe egalitaire finis ainsi par nuire aux interets particuliers et gener- aux. Les causes de in crise agricole sont nombreuses ; le partage rep ete de petits domaines ne compte pas parmi les moindres. Comment y remedier ? Ce n'est pas en France qu'on pour- raft imposer le remembrement obligatoire. Nos paysans, rester tres individualistes, ne tolerent pas la contrainte ; its savent y opposer une force d'inertie absolument incoercible. Sans la guerre il est probable que le remembrement serait reste I retat d'idee. Les regions devastees fournirent un excellent champ d'experience. OA tout avait etc ravage it n'y avait plus lieu de discuter de la valeur respective des terres proposees I rechange. A la place de cinq ou six parcelles, quelque fois enclavees ou distantes entre elles de plusieurs kilometres, le cultivateur disposa de terres d'un seul tenant, avec voles d'acces convenables. D'oil econornie de main-d'oeuvre, de charroi, de semences et d'engrais, ainsi que facilite d'entretien et de surveillance. D'oii egalement—chose -fort appreciable— economic de discussions avec les voisins.

La loi permettant le remembrement date du 27 novembre 1918. En dehors des regions devastees I'accueil ne fut pas ires enthousiaste. Le paysan se mefiait d'une loi en 190 articles avec vingt-quatre modeles de pieces administratives I fournir. Il se mefiait surtout d'un certain article octroyant une majorite de proprietaires le droit de contraindre une minorite I changer des parcelles. Grace I des simplifications et des amendements, ridee maintenant a fait son chemin. En Meurthe-et-Moselle, par exemple, on estime que le remembre- ment represente d'une part une economic annuelle de 200 francs par hectare (temps, travail, semences, engrais) et d'autre part une notable augmentation de productivite.

Logiquement, retape suivante serait la modification du regime successoral. Deja certains deputes oat depose une proposition de loi tendant a autoriser rattribution integrate de certains domaines ruraux a un seul heritier. Rapprochement piquant : Au nx.ment oil la France songe a freiner, l'Angle- terre songe a altet de ravant avec Inheritance (Family Pro- visions) Bill..