14 JULY 1939, Page 17

AUTOUR D'UN ANNIVERSAIRE

[D'un correspondant parisien] Nous approchons du point culminant des ceremonies organisees pour le cent-cinquantieme anniversaire de la Revolution francaise. Selon les communiques, cette com- memoration fut decidee " pour repondre a un voeu profond de !'opinion." Nous n'en doutons pas. Pourtant il faut reconnaitre que la foule ne s'est pas ruee vers les fetes officielles, pent-etre un peu trop solennelles a son gre. Il est vrai qu'aujourd'hui, grace a la radio, chacun pent participer sans &placement aux manifestations publiques lorsqu'elles com- ponent surtout des discours. C'etait le cas. Par contre il y avait beaucoup de monde au jubile de la Tour Eiffel. Elle fut le clou de ].'Exposition universelle de 1889, laquelle com- memorait le centenaire de la Revolution. Tout se tient!

C'etait l'avis de Clemenceau. Plus d'un article recent rappelait sa phrase celebre " La Revolution est un bloc." Il n'admettait pas qu'on puisse en accepter certains aspects et en refuser d'autres. La Revolution restait pour lui un dogme. Cela decoulait de is formation intellectuelle des bourgeois jacobins et voltairiens de sa generation—il etait ne en 1841. Les idees ont evolue depuis. A tel point que M. Edouard Herriot, Jacobin lui aussi, pouvait l'autre jour soutenir la contre-partie: "La Revolution n'est pas un bloc. Elle a commis des erreurs, des fames ; pis encore."

Sans doute les historiens, les philosopher, ne seront-ils jamais d'accord sur la Revolution, ses origins et ses conse- quences. Toutefois les fetes actuelles auront servi a demontrer que le recul de 150 ans permet d'en discuter avec plus de tolerance. On admet maintenant qu'il pout y avoir un moyen terme entre " fondement integral de toutes nos institutions " et " monument de cruautes, de folks, de stupidites." C'est qu'en realise la Revolution se divise elle-meme en plusieurs revoluticns : Prise de la Bastille en ,1789, chute de la monarchic en 1792, chute de Robespierre en 1794, coup d'etat de Bona- parte en 5799. Et d'aucuns pretendent que la veritable revolu- tion fut ce:le de 1830, qui separa l'ancienne France de la nouvelle et assura l'avenement definitif de la bourgeoisie. Il y en a eu d'autres depuis, trop rapprochees pour qu'on puisse les considerer avec serenite. Que d'anniversaires en perspective!

Du reste, ne sommes-nous pas encore en periode de revolu- tion? Sans parler de l'etranger, ne voyons-nous pas chez nous les doctrines se heurter sur le plan politique, avec des reper- cussions imprevisibles sur le plan economique? Plus d'un de nos probkmes derive directement de la Declaration des Droits de l'Homme. Car il ne suffit pas d'accorder certaines libertes a tous les individus ; encore faut-il que la structure de la societe permette a tous de les exercer. II ne suffit pas de proclamer !'abolition des privileges ; encore faut-il que le nouveau systeme n'en cree pas d'autres. II ne suffit pas de decreter des droits ; encore faut-il reconnaitre qu'ils impliquent des devoirs.

La Revolution fut bourgeoise dans son essence—le triomphe du Tiers-Ordre sur les deux autres. Cela repondait a !'edifice social de l'epoque. La democratic qui surgit alors ne ressem- blait en rien a la democratic actuelle. Il n'y avait pas de classe ouvriere, ni de capitalisme. Il y avait certes le paysan, mais dans bien des cas la Revolution en fit un proprietaire; aujourd'hui il se range soit parmi les bourgeois, soit parmi les ouvriers. D'autre part c'est la doctrine de 1789 qui a permis le developpement du liberalisme econornique, lequel sombre maintenant devant cet etatisme que l'Assemblee constituante repoussait avec horreur. Que de paradoxes!

Quoi qu'on en disc, la Revolution francaise compte a son actif des appoints substantiels. Singulierement, elle a realise !'unite nationale; puis, tout en restant dans les nuees, elle a recherché l'entente des peuples. Mais elle avait fonde une ideologic oil germait leur discorde. Elle avait denie le droit divin au monarque pour le conferer a la masse, a laquelle Rousseau et les naturistes presumaient tom les dons et toutes les vertus. Or la foule anonyme repond aux passions aussi bien qu'a la raison. Elle se livre aisement aux individualites fortes. Pour durer, celles-ci attisent ses passions. Ainsi a-t-on vu la mystique de la Race remplacer celle de l'Homme. Et a leur tour les chefs nouveaux—un Fuhrer, un Duce—se redament du droit divin I