15 JANUARY 1937, Page 16

Trop de Supplements

[D'un correspondent parkien] LE couvEnNEmErrr annonee que la premiere partie de son programme legisktif est achevee et qu'il va maintenant en presenter in seconde. Ii semble pourtant avoir oublie quelque chose. Ne laissait-on pas entendre en juin que le pourboire serait aboli, parse que " contraire a la dignite humaine " ? Decembre est venu, et avec lui le defile habitue] des queman- deurs. Le cabinet, sans doute, aura recule devant l'enormite de la triche. Car le nom importe peu. Si le pourboire est deshonorant, que dire des etrennes, enveloppes, gratifications, mensualites, indemnites ? Toutes meritent le meme sort. Le principe de leur abolition parait acquis. Mail ii faudrait savoir par quoi les remplacer.

" Pourboire : gratification en sus du salaire," dit le diction- naire. Avec cette definition, comment peut-on coneevoir l'Etat supprimant le pourboire ? C'est lui, precisement, qui en distribue le plus. Aux marechaux de France aussi hien qu'aux cantonniers, l'Etat octroie des salaires modestes. 11 lesine moires sur le pourboire. Tout fonctionnaire touehe des indemnites, dont le total parfois depasse les appointe- ments ; indemnites de vie chlre, de deplacement, de remplacement, de logement, d'equipement, d'entretien—Ja liste est inepuisable. Il y a aussi certaines remises—tarif reduit sur les chemins de fer, franchise postale ; les facteurs vont de porte en porte demander leurs etrennes.

Par contre, l'Etat sait aussi peroevoir des supplements. Le contribuable, " rusager " y sont habitués. Its savent qu'il y a toujours une somme prineipale, puis quelque chose en sus : timbre, droit, majoration, retenue, taxe —ici encore la liste est inepuisable. Une dame anglaise nous en donnait recemment un exemple. Du commissariat de police, oh elle se .presentait pour une carte d'identite, on l'envoya acheter au bureau de tabac une feuille de papier-timbre (4 frs.) sur laquelle etablir la demande. De retour au corn- missariat, elk repartit verser an bureau de poste le montant d'un mandatcarte (taxe 50c. ; affranchissement 50c.). Puis elle revint au commissariat deposer le reeepisse. La carte est de 160 frs., mais it y a 5 frs. de pourboire.

Les municipalites, les administrations privees calquent tears indemnites et leurs perceptions sur celles de l'Etat. Les villes d'eaux prelevent une taxe de sejour. Les hoteliers portent sur la note une dime pour le service. Le marchand de vin, le charbonnier ajoutent les frais de. rentree en cave. Tout commereant compte le timbre-quittance. On en est arrive a ne plus envisager un salaire sans gratification, un service sans pourboire, une facture sans majoration. Toujours le reflexe est le meme—la main se porte au gouswt.

Beaucoup d'etrangers ne peuvent s'habituer aux supple= ments. On vient de prendre d'excellentes mesures en vie d'attirer les touristes a l'occasion de l'exposition qui doit s'ouvrir a Paris au printemps. Les Anglais, croyons-noun; aimeraient y ajouter cette recommandation aux hoteliers et restaurateurs : Supprimez tous les supplements. Fa ites vos prix, mais qu'N soient definitifs. Autrement retranger ne comprend plus. Et quand on ne se comprend pas, les relations sont difficiles."

Le syst erne des supplements peut avoir des consequences plus graves. 11 tend a fausser toute reconomie. Nous avons eu it Paris une greve au sujet d'etrennes. 11 s'agissait (run contrat collectif oh figuraient les " gratifications de fin d'annee." —Par parenthese, comment peut-on esperer abolir le pourboire taut figurem dans les contrats ?—H etait prevu que le montant de ces supplements serait laisse a rappreciation du patron. Celui-ci proposa de les reduire de moitie, en raison de sea nouvelles charges. Et la greve fit declenchee.

Celui qui donne le pourboire s'eir tient h la definition : quelque chose en sus. Dans son esprit la gratification est toujours revocable. Son attitude est defendable. Mais eelle du beneficiaire ne rest pas moires. Quand on lui dit : " Votre salaire reste intangible. Nous ne touchons qu'aux supplements," it repond : Tout ce que je sais, mon bon monsieur, c'est que pour le meme travail vous voulez me payer morns." Dans l'interet general, it faudrait evidenunent faire table rase et proceder h une refonte complete du systeme des supplements. On parle beaucoup nationaliser " lea banques, les assurances, les ehemina de fer. On pourrait pout-titre en meme temps " denationaliser " le pourboire.