15 JULY 1938, Page 17

UN TOUR A LA CUISINE

[D'un corrzspondant parisien]

IL n'y a pas que le cote politique de la visite du roi Georges ni que son cote de.coratif. L'aspect gastronomique n'est pa ; negligeable. L'entente cordiale des cordons bleus est tout aussi desirable que celle des hommes d'Etat. Deja, a Londres commc a Paris, des articles ont paru oil ron comparait cuisine francaise et cuisine anglaise. Le Spectator traitait ce sujet de fawn fort pertinente dans son numero du 24 juin, 1938.

L'auteur de Particle souiignait qu'il n'y a pas qu'une cuisine frangaise, seule et unique, mais autant de varietes que d: regions et de classes sociales. C'est tres juste. Neanmoins on peut dire sans trop s'avancer qu'elles ont touter une origins commune : la cuisine paysanne. Or celle-ci repose essentielle- ment sur le plat mijote, celui qui cuit lentement et longtemps, pot-au-feu ou ragout. De la chaumiere au restaurant en renom les designations deviennent plus emphatiques. Mais on a beau les appeler potees ou estouffades, ce sont toujours les mimes plats.

Cela ne va pas sans paradoxe. Car, au fond, cette cuisine paysanne n'est autre chose que cuisine de pauvre. Le plat mijote, que certains acclament comme triomphe culinaire, n'a pas ete invente par un chef genial ; it resulte de dure necessite. S'il cuit lentement, dans les cendres de bois amoncelees dans l'atre, c'est simplement par economic de combustible. S'il cuit longtemps, c'est simplement parce que la marmite ne contient que volaille d'age respectable ou piece de viande coup& dans les bas morceaux. Si un bouillon gras ou une sauce onctueuse accompagne le plat, c'est pour inciter a manger beaucoup de pain. Si cette cuisine est bien relevee, c'est qu'il faut masquer la fadeur de L'Aliment principal. Le dicton est de circonstance: " C'est la sauce qui fait passer le poisson." Ce qui n'empeche pas le plat mijote d'etre delectable.

" Et le rod ? " demanderez-vous. La cuisine paysanne l'ignore. Du temps des seigneurs it n'y avait que le four banal ; souvent de nos jours it n'y a que celui du boulanger. Pour diverses raisons la table bourgeoise ne tire plus vanite de servir des belles pieces de viande. Parmi ces raisons it y revolution du boucher. De simple depeceur it a voulu

devenir artiste—et artiste cubiste par surcroit. 11 entend imposer au cuisinier sa collaboration.

Si par hasard vous avez vecu en Angleterre, ne vous avcn- turez pas pour cela de demander a votre boucher un joint. Il vous ecraserait de son mepris. II vous dirait : " Vous ne paraissez pas savoir ce que vous desirez. Est-ce aloyau, filet, cote ? Expliquez-vous et laissez-moi faire." Alors d'un couteau expert it sculptera sa viande pour en retirer tout ce qui donne savear—os, tendons, graisse, peau. Une fois is piece bien dechiquetee it saisira une pelote de ficelle. Avec des boucles savantes ii donnera une forme arbitraire a cette chair amorphe—rectangle ovate, losange. Puis it annoncera. non sans orgueil : " Voila un rOti bien pare ! " S'il avait des lettres, it ajouterait volontiers : " Its n'en ont pas en Angle- terre ! "

Lorsque, apres cuisson, vous voudrez decouper cet objet d'art, la ficelle tranchee, liberera des bribes qui feront pietre figure sur les assiettes de vos convives.

Hatons-nous de dire qu'on trouve encore de veritables nitis chez quelques traiteurs jaloux des traditions. Mais trop de restaurateurs, aussi bien que de maitresses de maison, ne considerent plus la viande que comme omement lorsqu'il s'agit de dresser un plat. La vie est there, it est vrai, et le rumsteck inabordable. Il faut se contenter de minces tranches reposant sur un large lit de legumes. Pour compenser on leur donne un nom ronflant : medaillon ou mignonnette. Chez nous la cuisine a toujours eu un petit air litteraire.

On a public quelques menus prepares a l'intention du roi Georges. Its semblent excellents. Mais si parfois Sa Majeste s'en lassait, nous la supplions humblement de ne pas se laisser tenter par des mets dits " a l'anglaise." Void, par exemple, comment on presente en France la recette du Welsh rarebit : " Fates fondre a feu doux du fromage de Chester dans

un verre de yin blanc . " C'est is de la mesentente cordiale !