15 JUNE 1934, Page 13

LE HAMEAU DE TRIANON

ID'UN CORRESPONDANT FRANcAIS]

AUCUN des voyageurs britanniques qui ont visit6 Versailles n'ignore, sans doute, le Petit Trianon- Chacun d'eux a pu eprouver le contraste charmant qui oppose a la majeste harmonieuse, mais un peu solennelle, du Palais des Rois la grace juvenilement rustique du hameau de la Reine. Lorsque, apres avoir longs les allees moussues du Grand Canal, on s'evade du Parc pour penetrer dans le domaine sylvestre voisin, comment pourrait-on ne pas etre sensible a la nettete si jolie, si preste, si genialement ineurvee, des marbres roses du Grand Trianon, ainsi qu'a la fraicheur champetre, toute intime et baignee de pastoralisme, des celebres bergeries ? Ce village, ou, pour mieux dire, ce " hameau" du Petit Trianon, qu'avait alert Louis XVI a Marie-Antoinette, et qui Bait aussitot devenu sa residence favorite, s'offre aujourd'hui aux regards curieux, encore empreints de souvenirs grandioses, comme un refuge de simples delices et de renoncement delibere au faste. On se croirait soudain transplants dans un decor idyllique, oil le sceptre a choisi de s'incliner deviant la houlette.

L'attention generale vient d'etre tout recen-unent attiree sur ce tendre pastel de notre fresque nationale. Le hameau, en effet, depuis nombre d'annees menacait de tomber lentement en ruines. Des fragments de pierres s'ecroulaient, entrainant dans leur chute les vestiges touchants d'un passe sentimental, cher au coeur des Francais. L'atteinte la plus symbolique avait etc portee au moulin de la Reine par Pecrasement d'un gros chene, qui, s'effondrant sur le pavillon de la meunerie, avait endommage gravement la roue seculaire et entierement &fruit le pittoresque lavoir qui y attenait. Bref, les autorites archeologiques chargees de la garde des monu- ments nationaux n'etaient pas sans avoir quelque sujet de s'inquieter legitimement. Lours adversaires les plus redoutables se trouvaient, d'ailleurs, par un paradoxe assez curieux, etre ceux des amis du passe qui estimaient qu'une refection des chaumieres ne pourrait que con- stituer un douteux replatrage, et que le mieux ask encore de laisser pieusement le temps accomplir son oeuvre. L'argument, it faut l'avouer, supportait diffi- cilement la controverse, et, sur ces entrefaites, une offre genereuse de John Rockfeller &ant venue mettre A la disposition des officiels les sommes necessaires pour mener bien l'entreprise, la reconstitution du hameau fut decidee. C'est, aujourd'hui, chose faite.

Les petites maisons ehampetres ont revetu un air de jeunesse qui leur sied, de l'avis unanime, fort coquette- ment ; le lavoir a surgi des ombres ; et le moulin. de Marie-Antoinette a repris sa chanson d'autrefois sous l'impulsion d'une roue A aubes, replique exacts de celles que Pon employait sous le regne du Roi-Soleil, createur de Versailles. Entierement construite en bois chevronne, elk est mue par de fortes palettes taillees a angle vif, qui lui donnent cette modalite d'engrenage si particuliere aux machines du XVIIe et du XVIIIe siecles.

Les travaux de refection une fois termines, it subsistait • cependant une lacune encore. On savait—de vieilles estampes en portaicnt temoignage—qu'en bordure du lac, face a la chamniere royale, se voutait jadis un immense saule, que Marie-Antoinette avait, elle-meme, plants de sa main. Mort de vetuste, it n'avait point etc remplace ; mais les architectes modernes ont eu it coeur d'en deter- miner le site exact, et c'est ainsi qu'on verra bientat revivre, dans ce cadre un tant soit peu melancolique, le " feuillage eplore " d'un arbre qu'aima la malheureuse Reine, sous l'etreinte, qui sait ? d'un pressentiment secret.