16 DECEMBER 1938, Page 22

" CHASSEURS, SACHEZ CHASSER "

[D'un correspondant parisien]

LA chasse vient de fermer sun toute l'etendue du territoire. Ii n'y a plus qu'a graisser fusils et brodequins en attendant

is saison prochaine. Le hasard vent qu'elle ouvrira quelques semaines apres la celebration du 15oe anniversaire de la Revolution. Combien de chasseurs se souViendront, a cette occasion, que c'est grace a celle-ci qu'ils peuvent poursuivre lievres et perdreaux ? Sous l'ancien regime, en effet, le droit de chasse etait domanial et inherent a la seigneurie. Pour en jouir il fallait etre " gentilhomme, ou bien bourgeois ou roturier possedant fief." Aujourd'hui ii suffit de verser le prix modique d'un permis, car tine des menues consequences de in Revolution fut de dernocratiser la chasse.

(Par pr.renthese, il y cut beaucoup d'autres menues conse- quences. Pour in commemoration de 1939 elles pourraient fournir le sujet d'une interessante monographie. Le moindre ecolier, par exemple, citerait le cas des pigeons, car ses manuels d'histoire ne manquent pas de rappeler que jadis le seigneur seul avait un pigeonnier et que ses oiseaux devastaient les recoltes. Est-ce pour souligner cette conquete du peuple que tant de pigeonniers furent ajoutes aux habitations rurales dans certaines contrees ? C'est la question que nous nous posions en traversant le Languedoc au cours des dernieres vacances.)

Pour en revenir a nos chasseurs, ce qu'on appelle couramment "permis de chasse" fut institue en x8to par decret imperial. Cette designation est du reste inexacte, puisque la permission se limite au "port d'armes de chasse." Au debut le prix du permis etait de trente francs ; seize ans plus tard il fut reduit de moitie. Ii s'agissait de francs-or, bien entendu. Depuis 1920 il existe deux sortes de permis, -Pun general, valable pour toute in France, l'autre departemental, utilisable seule- ment dans in region d'emission. Ce _dernier -ne coke qu'une cinquantaine de francs-papier, prix auquel II fut ramene apres une augmentation qui avait provoque une diminution considerable du nombre de demandes. Chaque saison il en est delivre environ 1,5oo,000.

Mais si le permis est a la portee de toutes les bourses, il ne suffit pas d'en etre detenteur pour se mettre en campagne. La loi est formelle : nul ne pent chasser stir une terre sans Pautori- sation du proprietaire. Les chasseurs se divisent done en trois categories principales : les grands proprietaires et leurs invites, les membres de societes de chasse et les particuliers assez aises pour louer des droits, les petits proprietaires qui chassent sur leurs propres terres, isolement ou en s'associant avec les voisins. Les grandes chasses ont mal a lutter contre des frais pones au centuple par la crise. Les societes ne cessent d'augmenter le taux de la participation. Le petit proprietaire, cultivateur en general, se defend mieux ; l'Etat, qui conserve le monop ale des poudres, lui fait payer les cartouches un peu plus cher, mais c'est tout.

En somme, c'est le chasseur moyen qui predomine en France. Ses pretentions ne sont pas excessives un lapin ou deux, quelques perdreaux ou un lievre. S'il est paysan, ii prendra part en mitre a 'quelques battues au sanglier, grand ravageur de ses champs. S'il est bourgeois de la vile, sa societe de chasse pourra aspirer a des pieces plus aristocratiques. Les fastueux tableaux de chasse, ceux qui figurent dans les nouvelles mondaines des gazettes, sont reserves aux grands proprietaires. Encore se font-ils de plus en plus rares. Le temps n'est, plus oü les invites d'un Gordon Bennett, par exemple, abattaient pres d'un millier de faisans a deux pas de Paris, dans ses tires du parc de Versailles.

Du reste, le gibier tend a climinuer 'dans toutes les regions. Les causes sont multiples : accroissement du nombre de permis delivres (600,000 de plus en dix ans), armes perfectionnees qui favorisent le braconnier aussi bien que le chasseur respec- tueux des lois, denudation de terrains boises, extension de l'usage des machines aratoires qui n'epargnent pas les couvees- Penumeration deviendrait fastidueuse. Mais les chasseurs representent tine force et l'Etat a entendu leur doleances. Par toute la France aujourd'hui on rencontre des ecriteaux : " Ministere de L'Agriculture. Reserve Nationale de Chasse." De l'avis general il n'etait que temps d'appliquer des mesures de conservation. Sans cela l'heure paraissait proche oü l'on aurait vu une multiplication demesuree des heros d'Alphonse Daudet : les chasseurs de -casqueites de Tarascon.