17 JANUARY 1936, Page 18

COUNT ST: AULAIRE'S TALLEYRAND

LETTERS TO THE EDITOR

. - [Correspondents are requested to keep their letters as brief as is reasonably possible. The most suitable' length is that of one of our "Nave of the Week " paragraphs. Signed -letters are given a prefereneer over 'those bearing 'a pselulonym.—Ed. Tire- SPECTATOR.] [To the Editor of THE SPECTATOR.]

MONSIEUR LE DIRECTEUR,—Dans son numero du 3 de ce inois, Le Spectator a publie, sous la signature de M. E. L.

Woodward, une analyse trop bienveillante, au point de vue litteraire, de mon livre sur Talleyrand. Mais, si je suis confus des eloges qu'il me decerne, je suis fort sensible a un reproche m' adresse, en termes d'ailleurs tres-courtois, au point de vue politique et meme, ce qui est plus grave, au point de vue moral. Reproche que je ne crois pas meriter et qui m'aftlige parce qu'il est de nature a jeter, dans l'esprits de ceux qui me connaissent mal, des doutes sur les senti- ments d'amitie et d'admiration que j'ai toujours professes pour In nation anglaise et dont je me suis inspire au tours d'une longue carriere diplomatique.

M. E. L. Woodward ecrit qu'un lecteur anglais pensera que " M. de Saint-Aulaire is hardly fair to Great Britain."

II fonde cette opinion sur un rappel des acquisitions coloniales de 1'Angleterre en vertu des traites de Vienne. Tous les manuels d'histoire en France et, je suppose, de l'autre cote du detroit, les entunerent, ce dont je me suis abstenu. Le Dictionnaire Larousse, qui n'enregistre que des faits incon- testes, nous apprend, volume 6, page 986, dans son article stir les traites de Vienne que l'Angleterre conserve Ia plus grande partie des colonies francaises, hollandaises et espagnoles qu'elle avait conquises." Si c'est une erreur, je n'en ai pas

le monopole, et, si elle est demontree, je m'empresserai de la rectifier. Ja n'ai d'ailleurs admis cette verite provisoire que pour marquer que l'absolu desinteressement de l'Angle- terre sur le Continent la qualifiait pour moderer les convoitises de ses allies et pour devenir Pallie de Ia France.

Pour employer le meme mot que M. E. L. Woodward,. je rue demande si c'est tres " fair " envers moi que d'isoler,

pour me reprocher de ne pas l'etre, une ligne qui mentionne, sans le critiqucr, un fait jusqu'ici indiscrete, et de passer sous silence les longs developpements que j'ai consacres aux immenses bienfaits de l'alliance franco-anglaise. Si j'ai voulu exposer rceuvre de Talleyrand, c'est surtout parce qu'il est le pere authentique, mais inconnu ou meconnu, de cette alliance. La est, a mes yeux, son principal titre de gloire. C'est cc qui en fait, en depit de tous ses vices, un bienfaiteur de l'humanite, l'alliance de I'Angleterre et de In France ayant ete et devant etre, j'esp ere, non seulement in plus solide garantie de la paix generale, mais aussi lc plus fecund foyer de force spirituelle pour toute in planete.

Quant au mot que j'ai cite stir l'influence " des pasteurs et des vieilles filles," en Angleterre, it a ete maintes fois

reproduit d'apres Paul Cambon. Mais celui-ci qui me l'a repete quand j'ai eu Phonneur de lui succeder, ajoutait qu'il n'en etait pas auteur. Il le tenait de Sir Arthur Nieolson, sous- secretaire d'Etat au Foreign Office, sur les 'tyres duquel je l'ai egalement recueilli. A ce propos, M. E. L. Woodward replique en se referent a l'ideologie des politiciens, de in Presse et du public en France. Il a cent fois raison. Mais

je n'ai pas pretendu que l'ideologie flit un article exclusivement anglais. Je crois meme qu'il est plus abondant et plus

dangereux en France. Nous lui devons, notamment, vingt-

deux annees de carnage apres recces de folie collective qui a frappe In France en 1792, quand la Revolution a declare

In paix au monde et a voulu faire son bonheur malgre lui. Cette ideologie a ete si catastrophique que la France, je l'esp ere, en est maintenant guerie.

Enfin, M. E. L. Woodward diagnostique en moi une " odd blindness " pence que je lui parais ne pas cornprendre que la theorie de l'equilibre, ou de la " balance of power," there a Talleyrand, a perdu se vertu.

Sans rechereher si in recite n'est pas une maladie essentielle- ment diplomatique, j'incline a croire que la veritable "blind- ness " consiste a ne pas distinguer l'essentiel de l'accessoire, le fond de la forme, in re.alite de Papparence. Or, l'essentiel, le fond, la realite, c'est que la ". balance of power sera ''unique garantie de Ia paix aussi longtemps y aura des peuples disposes. troubler. Fn attendant que tous les

peuples soient egalement pacifiques,. ln, paix ne sera maintenue que si 1.es peuples pacifiques sont plus forts et plus unis.que les autres„ C',est sur cette Write de La Pelisse, appliquee par l'alliance franco-anglaise, que Talleyrand a fonde 1a paix en 1818; ce qui on appelle l'organisation collective de la paix n'est qu'un pseudonyme de cette evidence. Que cet eqeilibre s'exprime, comme autrefois, par des traites dalliance, _ou

comme aujourd'hui clairement et moires efficacement selon moi) dans le cadre de is Societe des Nations, c'est toujours un equilibre. La reste n'est que l'accessoire; la forme, l'apparence. Mais Talleyrand, qui etait oPportuniAte, saurait habiller ses doctrine a la mode du jour.

Vous approuverez certainement, Monsieur le Directeur, mon voeu que cette lettre soit publiee par Le Spectator. En vous en remerciant d'avance, je vous prie, Monsieur le Directeur, d'a.greer l'assurance de mes sentiments les plus digtingties