18 DECEMBER 1936, Page 16

Sujets d'Etonnement

[D'un correspondant parisien]

IL ne sierait pas a un etranger de prendre position dans he drame

qui vient de botdeverser rempire britannique. Mais' lui est loisible de signaler certaines impressions que revenement a produites en France. Celles-ci du reste sont tout Is rhonneur de rAngleterre. En meme temps elles serviront Is souligner quelques contrastes.

On sait que le Parlement francais discute d'un projet de loi sur la presse. Il n'y est question que d'interclictions et de penalites. Ii sera defendu de faire ceci ou de dire cela, ou bien il en coiltera tant d'amende, tant de prison. Ce projet a déjà ete votk par la Chambre, oh plus d'un orateur declara qu-il fallait " tenir la presse en main." Bientot le Sena s'en occupem. Apres les evenements d'outre-Manche, on s'attend presque a entendre an senateur dire a ses collegues : "Messieurs, il est devenu de mode depuis quelque temps de citer l'exemple de l'Ang,leterre. Je voudrais le faire a mon tour. En Angleterre il n'y a pas de lois speciales sur la presse. Ii n'y a pas de censure. Ii n'y a aucun frein autre que le droit commtm.'Queue situation deplorable ! ' penserez-vous sans doute. 'A quels exces une presse non reglementee ne doit-elle pas se livrer. Ces pauvres Anghtis sont bien plaindre ! '

" Voici, messieurs, un exemple de cc que fait cette presse : Pendant des semaines, des mois, elle a connaissance de certains faits susceptibles de provoquer une crise constitu- tionnelle des plus delicates. Queue merveilleuse occasion d'abuser de sa liberte pour exiiloiter une situation sensation- nelle ! Or cette presse libre, messieurs, se reglemente elle- meme. Sans se concerter, sans y etre pries, les journaux se taisent, quelle quc soit leur nuance politique, he Daily Herald aussi bien que le Times. Et ils ne rompent le silence que lorsque d'un persormage auguste les y autorise tacitement. Pouvez-vous garantir, monsieur le President du Conseil, que vous obtiendrez semblable resultat avec votre loi ? "

L'attitude de la presse britannique ne flit pas notre seul sujet d'etonnement. Au cours de cette crise les r:artis d'opposition se rallierent spontanement au gouvernement. Ils firent preuve d'une reserve, d'une comprehension des interets nationaux, egales au moms a celles du parti 5*1 pouvoir. Et pourtant cette opposition est socialiste ou socialisante poar la plus grande part. Elle a demoutre que cela ne remp eche pas d'être avant tout anghtise. En France nous parlons souvent de runion sacree," mais dans In pratique la politique ne perd jamais ses droits. En Angleterre vous ne semblez pas avoir la phrase ; VOUS vous contentez d'avoir la chose.• Autre sujet de stupefaction : L'empire britannique repre- sente bien une entite. Depuis quelque temps chez nous de nombreux ecrivains, dans leur incomprehension de rime anglo- saxonne, se complaisent Is decouvrir les pieds d'argile du colosse. A les entendre, le Canada totune dans l'orbite des Etats-Unis, l'Inde est en revolte, l'Australie et l'Union sud- africaine se detachent de plus en plus de la metropole. Tout cet empire ne tient que par une fiction. Vienne une crise et ii s'ecroulera.

Quant a la vieille Angleterre, ecrivent-ils encore, n'est-elle pas en plein &din ? Sa force morale decroit ; sa puissance militaire est devenue negligeable. Dana le concert des nations sa voix n'a plus he mettle poids. Comment s'en etonner ? N'a-t-elle pass eon& ses destinees a an vieillard falot, tm gentleman farmer fumeur de pipes et eleveur de pores ? Stanley Baldwin est bien A 'Image de rAngleterre epuisee : un bouchon ballotte sur une eau trouble.

II sem malaise d'ecrire ainsi pendant qttelque temps Is venir. Nous venons de eonstater In cohesion de rempire britannique. La lecture des joumaux coloniaux n'a revele aucune note discorclante : "Dc l'Empire ou du Roi, c'est l'Empire le plus grand." Et M. Baldwin, plein de sagesse et d'autorite, a su dominer la situation pour preserver sa royauté. Is une grande democratic. '

Rkpetons que dans cc drame les Francais n'ont pas Is prendre parti. Mais ifs sont nombreux a croire que s'il convient de se decouvrir devant une detresse royale, II faut saltier aussi un pcuple qui sait trouver sa force dans In dignite.