19 JULY 1935, Page 15

Tour de France

[D'un corrcspondant francais]

LE moms prevenu des touristes traversant Paris ces jours-ci peut, dans la rue, observer une animation qui, vraisemblable- ment, lui parait singuliere. Les ouvriers quittant l'usine, les employes an sortir de leur bureau, les consommateurs assis a la terrasse des cafes, les chauffeurs de taxis, les agents de police eux-momes, se ruent avec frenesie sur les feuilles du soir des quo les crieurs les mettent en vente, humides encore de renere des rotatives. Serait-ce un et, enement politique ou un crime passionnel qui captive a cc point tine foule d'ordinaire si blasee ? Non point : tant d'effervescence provient, seule, de ce qu'en cc moment se court le Tour de France.

Le Tour, qui en est a sa vingt-neuvieme armee, s'est, en ete, progressivement achemine vers une organisation., de moms en moms imparfaite. La Wile est rude, eependant, que de regler dans les moindres details une pareille randonnee, a propos de laquellc ne cessent de se poser mille questionS; toutes susceptibles d'engendrer la critique, voire la chicane et le rnauvais vouloir. Ii taut rendre cette justice an "per du Tour," M. Henri Desgrangcs, que, loin de se laisser griser par le succes materiel de son entreprise, il s'acharne per-. fectionner son ceuvre, sans crainte de revenir sur les innova- tions rnalencontreuses, " vingt fois sur le metier remettant son ouvragc."

Le sens actuel du parcours—premier point d'hnportance-- satisfait a un gout d'equilibre certain. Avec sagesse les dirigeants de repreuve ont gradue, tout en les menageant, les efforts dernandes'flux concurrents. Le debut de la course se fait, de Paris a Lille, sur le plat ; mais un plat herisse de paves et d'embfiches. C'est une rude mise en train. Du Nord, la seconde etape se dirige vers l'Est ; le terrain devient déjà plus accidente. Les premieres difficultes se dessinent avec les monts d'Alsace ; puis c'est le Jura aux reliefs abrupts ; enfin, voici les Alpes . . . cette epreuve est toujours decisive pour nombre de lutteurs. Elle elimine les epuises, les affaiblis et, aussi, helas les malchancens'es. victimes des accidents si redoutes en montagne. La Franco sportive n'a pas appris sans regrets et sans emotion la Chute douloureuse et rabandon d'Antonin Magne, l'une des figures les plus .droites, sympathiques et consciencieuses du cyclisme international. Champion estime, deux fois vainqueur déjà du Tour de France, Antonin Magne escomptait la "passe de trois "—que seul reussit, autrefois, le beige Philippe Thysr.TH. Un accident stupide l'aura empeche de realiser le reve pouvait legitimement entrevoir.

Apros raseencion—proprement miraculeuse—du col du Galibicr, juche it 2653111- d'altitude, l'arrivee sur les bords de la Mediterranee vient apporter une salutaire detente et l'encouragement indispensable pour affronter, darks un avenir proche, des obstacles plus redoutables peut-etre que ceux qui out ete franchis au cceur des elates alpestres. De Nice it Perpignan, la route est aisee,—seul le " brillant solcil d'ete," qui tut fatal a Mircille, pourrait &primer des homilies peu acclimates it la chaleur accablante qui fait eclater les eailloux de la Camargue—; mais voici qu'apparait le fameux col pyreneen du Tourrnalet (21221 d'altitude), dont les lacets repetes surplombent des precipices terrifiants ; combien de fois, deja, le celebre " Juge de Paix," en sa " haute impartialite," a-t-il decide du destin final du periple gigantesque !

Les rescapes de la montagne entrcvoient des lors avec plus de senerite le terme de repreuve, car la course se &mule ensuite sur les routes nonchalantei du Bordelais, de la Vendee . et de la Nortnandie, 'qui :Advent de gracieuses vallees et enjambent des collines facilement accessibles. Les grimpeurs, tOntefois, qui ont brine dans les cols, doivent compter desormais avec lei sprinters entraines sur le plat. Ce seront, jusqu'au retour it Paris, de veritables tournois de vitesse, dans lesquels—des " pistiers " pcuvent se reveler a la onzikne heure.

Image, on le volt, versicolore des horizons les plus varies du sot national, le Tour dekneure, en &pit des maladresses d'une publicité parfois indiscretement tapageuse, un exempla de grandeur, d'energic et de sante dans l'effort.

R. L. V.