1 MARCH 1935, Page 15

L'ecran vivant

[D'un correspondant francais] L'AcAnforrE des Sciences a etc, lundi dernier, le theatre dune seance particulierement curieuse, qui fera date, sans aucun doute, dans l'histoire du film. Une des realisations, consideree comme la plus difficile et la plus desiree, y a etc presentee par le célèbre savant, M. Louis Lumiere, a qui revint, jadis, la paternite des premieres tentatives de pro- jection animee. L'inventeur du einematographe, aujourd'hui age de soixante-et-onze ans, et qui ne cesse, en &pit du fardeau du temps, d'apporter d'inlassables perfectionnements A sa technique primitive, vient de decouvrir ce que Ion pourrait appeler la pierre philosophale du cinema, puisque cette decouverte permettra de donner a l'image mouvante non plus seulement l'apparence de la vie, mais le relief meme de la vie. On sait, en effet, que recran n'avait pu, jusqu'ici, que pretendre a une lointaine comparaison avec le concret de ('existence. Ses conquetes successives l'avaient de plus en plus rapproche dune imitation ideale, sans lui donner toutefois la possibilite de l'atteindre pleinement. Apres avoir jalonne son chemin de trophees victorieux, tels que la repro- duction du mouvement, de la luminosite, de la couleur, de la sonorisation et, enfin, de la voix, recran moderne avait vainement tents de s'approprier la troisieme dimension. Quelque brillant que ffit le progres de ses magiques illusions, it ne parvenait point it surmonter l'obstacle essentiel qui separe In surface du volume, le plan de l'espace, Ia toile figee de in voile vivante.

Ce relief, qui manquait cruellement au cinema, M. Lumiere vient de lui en faire le present. Le pere de l'ecran, qui reussit, en 1885, a fixer l'aube des gestes et des mimiques, se defend, cette fois, avec une touchante modestie, d'avoir vraiment irmove. Il pretend simplement etre parvenu a exploiter un procede qui existe depuis quatre-vingts ans. C'est en 1855, en effet, que fut &convert le moyen de projeter sur un eeran deux images stereoscopiques, c'est-h-dire prises sous un angle different, et suffisant, par la meme, a donner une sensation de relief. Simple de conception, le stereoscope etait, en realite, d'une application extremement difficile. Lorsqu'il ne s'agissait que d'images virtuelles, la separation oculaire, indispensable it la superposition des deux vues, s'executait aisement, et chacun de nous a pu avoir entre les mains ces appareils de photographic en relief dont l'emploi s'est repandu dans l'usage commercial. Au cinema, il n'en est plus du tout de meme. Les images, ici reelles, doivent etre projetees sous les yeux de centaines de spectateurs, disposes tres differemment par rapport a la source origine. On concoit gull faille, dans ces conditions, avoir recours it une methode tout autre de discrimination entre le "champ visuel de chacun des deux yeux.

Les recherches avaient, jusqu'a present, porte sur In fabrication de verres speeiaux, teintes l'un de rouge et l'autre de vert, a travers lesquels on examinait deux images super- posees, l'une coloree de vert et l'autre de rouge. Mal- heureusement, le verre rouge fatiguait tres vite la vue, et la fusion, en outre, n'etait jamais parfaite. Il y avait des cernes, des colorations persistantes. Plus rien de ces &fruits ne subsiste a l'heure actuelle, le lorgnon construit par M. Lumiere ne laissant filtrer que Ia puree d'un blanc ideal.

Apres plusieurs annees de patientes experiences, l'inventeur est finalement parvenu it teinter ses verres de telle sorte—run en jaune, l'autre en bleu—que les couleurs fondamentales du spectre passent integralement sans occasionner la moindre gene. C'est une sensation de parfait repos que l'on eprouve a contempler les films. Quanta leur relief, il est saisissant. Les bandes presentees par M. Lumiere l'arrivee d'un train, une promenade en bateau, &c., ont frappe de stupefaction tons les spectateurs. On avait, veritablement, l'impression ,que in vie crevait recran, pour jaillir dans sa fraicheur, sa puissance et son bondissement.

En presence de cc nouveau prodige de la science, il ne reste plus qu'a former le voeu de voir bientbt toutes les salles de cinema mimics du lorgnon ensorcele, ce qui, nest-il point vrai, ne manquera pas de donner un aspect .pittoresque et inattendu it nos temples de robscurite.

R. L. V.