21 DECEMBER 1934, Page 13

DINER LITTERAIRE

[D'UN CORRESPONDANT FRANcAIS]

DECEMBRE est, A Paris, le mois des offrandes aux romaneiers. A l'approche de la fin de !'annee, de toutes parts, jurys s'assemblent et ouvrages affluent. Tine atmosphere d'attente presque febrile regne dans le tout. Paris des lettres. Des noms sont mis en avant et des pronostics hasardes, cependant que l'impenetrable dieu du Parnasse conserve son sourire d'enigme. Parmi les plus Maims recompenses, le " Fernina," le " Theophraste Renaudot " et le " Goncourt," royal laurier, suscitent entre tous les convoitises. La gloire qui s'attache A leur renom est de qualite. Le gagnant du " Goncourt," en part iculier, voit generalement poindre l'aurore dune brillante earrierc. Et lc choix, cette annee, de M. Roger Vereel, createur psychologique d'une singuliere puissance, West pas fait pour infirtner le jugement des Dix.

Le "Goneourt," comme le " Theophraste Renaudot," sont decernes A Fissile de dejeuners qui, grace a la radio- diffusion et aux ressourees de la publicite moderne, prennent de plus en plus figure d'evenement. Leur originalite, toutefois, ct leur prestige ne sauraient rivaliser avec ceux du plus eblouissant des raouts litteraires de Paris. S'il ne decerne point de prix, le diner de la Revue des Deux Mondes n'en eonstitue, en effet, pas moms l'une des manifestations les plus significatives du rayonnement de l'art et de la pensee universels.

On sait la rare influence que s'assura, de haute lutte, des sa naissance, la Revue, aujourd'hui vieille de cent quatre ans. Sous l'impulsion de Francois Buloz, son fondateur, dle atteignit fres tot une exceptionnelle qualite dans le jugement et le gofit. Elle contribua not- amment, au XIX° Siecle, A faire connaitre en France les plus grands noms de in litterature britannique, et certains de ses articles sur Thaekeray, par exemple, sont restes des modeles de penetrante sympathie.

Chaque fin d'automne, depuis quatorze ans, la Revue des Deux Mondes offre A ses collaborateurs un banquet, oil sont invitees toutes les personnalites marquantes des lettres, de Part, de la magistrature, de la diplomatie et de Parmee. C'est !'occasion d'une reunion veritablement unique. Nulle part, ailleurs, ne se trouvent group& tant de figures connues, tant d'ecrivains celebres, et tant de simplicite spirituelle. Le nieces grandissant du diner, lequel comptait, cette annee, pres de trois cents couverts, est le plus stir garant de sa resonance profonde.

A ce succes oat contribue des presidences illustres, dont les plus recentes furent celles du Marechal Lyautey, du General Weygand et du roi-soldat Albert Ier des Beiges. Le due de la Force, qui, le 8 decembre, prit la parole A la ceremonie de 1984, ne manqua point d'evoquer la noble figure du souverain disparu, dont le kenererix discours semblait vibrer encore dans le cceur des assistants. Puis on entendit la voix emouvante de M. Rene Doumic. Le Secretaire perpetuel de l'Academie Frangaise, A qui incombe, depuis la succession de Francis Charmes, Is tache ecrasante de diriger la Revue, s'acquitte de son labeur avec une felicite speciale. Universitaire de grande classe, " immortel " au devouement duquel on ne fait jamais appel en vain, critique aigu et directeur attentif au flux de la generation montante, M. Doumic est, au surplus, un organisateur emerite. Il avait, cette annee, demande A M. le Marechal Petain de presider le diner. Et ce fut pour tous un regal comme un reconfort d'entendre le glorieux soldat, inoubliable defenseur de Verdun, exprimer, A !'occasion d'un projet d'education, patristique, des paroles graves et justes qui auront, sans doute, dans Is conscience nationale, unR. immenseretentissement.