21 OCTOBER 1938, Page 16

REFAIRE LA FRANCE

[D'un correspondant parisie'n]

L'ALERTE est terminee. La joie febrile est tombee. Beaucc. p de Francais ont fait un examen de conscience. Certaris ont reconnu publiquement leurs erreurs. Une seule facile devrait maintenant s'imposer : tirer des recentes journkes tragiques toutes les lecons qu'elles comportent. Deja ces legons semblent se resumer en ce cri general : " II faut refaire la France ! " Naguere encore on ne parlait que de redressement ; aujourd'hui it s'agit de reconstruction.

Mais comment refaire la France ? Des que l'on pose la question l'unanimite cesse. Chacun voit le probleme sa facon ; chacun presente son systeme. Certains parlent de commerce et de production, d'autres d'economie et de finance, d'autres encore de force militaire. D'aucuns proposent une refonte du regime, ou meme l'essai d'un regime nouveau. " Changeons de methodes," disent les uns. " Changeons plunk d'hommes," repliquent les autres. Qui croire ?

Autre question : Par oil commencer ? Par le haut ou par le bas ? Par les dirigeants ou par les diriges ? A ce propos it faut constater que notre systeme parlementaire n'eut jamais aussi mauvaise presse. Depuis MacMahon—et it y a soixante ans de cela—le mot dissolution etait demeure tabou ; main- tenant il est sur toutes les levres. "Nous sommes en pleine incoherence ", dit-on couramment. "Notre constitution repose sur le principe de la separation des pouvoirs, en meme temps que sur la participation du Parlement a l'oeuvre gouverne- rnentale. Pourtant que voyons-nous depuis une dizaine d'annees ? Chaque fois qu'un cabinet, quelle que soit sa nuance, pretend faire travail utile, il reclame les pleins pouvoirs —Poincare, Laval, Doumergue, Chautemps, Blum, Daladier. C'est la dictature voilee. C'est l'effondrement du regime parlementaire. II convient de consulter plus souvent le pays."

Mais voici un autre son de cloche. " Le Parlement, dit-on aussi, reste en theorie l'expression de la volonte des electeurs. Si dans la pratique il y a mauvais fonctionnement de la machine parlementaire, n'est-ce pas la consequence d'un regime electoral fausse ? Alors changez-le avant d'en appeler au suffrage universel. Le choix ne manque pas : representation proportionnelle, scrutin de liste, suppression du ballottage. On les a déjà essayes sans sucees, dites-vous. Alors quoi faire ? Entendez-vous changer la mentalite de l'electeur qui persiste a voter pour des hommes plutek que pour des idees ? Quelles sont vos qualites pour entreprendre cette tache ? "

Nous echangions des propos de ce genre I'autre soir dans un salon on la maitresse de maison, bourgeoise moyenne, aime a reunir des jeunes. On discutait ferme, mais sans aboutir. Dans un coin un vieillard solitaire ecoutait en silence. Au moment du depart il parla enfin. " II me semble, dit-il, que vous ne songez qu'aux transformations materielles. Pour refaire la France, ne conviendrait-il pas de commencer par une transformation morale ? "

Il poursuivit : " II y a une trentaine d'annees la Chambre comptait un orateur tres ecoute—Rene Viviani. Ce nom ne vous dit rien ? Pourtant Viviani fut president du conseil ; nous avons meme a Paris un square Rene Viviani. Un jour il fit un discours debordant -d'eloquence, a tel point qu'on en reclama aussiteit l'affichage. II y disait a peu pres ceci :

Nous avons eteint au ciel les etoiles qui guidaient les awes simples. Qu'allons-nous mettre a leur place ? ' A mon tour de demander ce soir Qu'avons-nous mis a leur place ? Le Francais pourtant est assoiffe d'ideal. II ne demande qu'a porter le flambeau. Mais encore faudrait-il le lui allumer."

Personne n'interrompit. II continua : " Sans etoiles, notre individualisme s'exagere et nous divise. L'interet general dis- parait sous la masse des interets particuliers. Je veux bien con- ceder que chacun de nos groupements, chacun de nos partis a la rigueur, poursuit un ideal. Mais c'est trop souvent un ideal doctrinaire qui conduit a 'Intolerance. Par temperament nous sommes analytiques et raisonneurs, ce qui conduit trop souvent a la casuistique et au moindre effort. Au bord du gouffre nous nous ressaisissons toujours. Mais, le danger passe, les differences s'accusent de nouveau. Je constate ; je ne juge pas. Surtout je ne desespere pas. Je crois obstine- ment a la France eternelle. Mais, je l'avoue, ma foi serail fortifiee si l'on nous rendait quelques etoiles."

Les rnernbres de notre petit groupe se separerent fort songeurs.