22 APRIL 1938, Page 15

" MONSIEUR LE PRESIDENT "

ID'un correspondent parisien

IL s'agit du president de la Republique. Autrefois cela n'aurait pas fait l'ombre d'un doute. Mais la mode s'est etablie de nos jours d'appeler " Monsieur le President " tous ceux qui president ou qui ont preside, non seulemcnt le Conseil des ministres (ils sont assez nombreux dans un pays qui change si souvent de gouvernement), mais aussi les conseils d'adminis- tration ou les associations d'interet general, voire les societes de joueurs de boules ou de pecheurs a la ligne.

Pour s'en tenir au president de la Republique, it y a lieu de signaler le mouvement inusite qui s'est dessine au cours des recentes crises ministerielles. Chaque jour les gazettes publiaient le texte d'adresses suppliant respectucusement le chef de l'Etat de faire appel a un gouvernement de salut public, pris, si necessaire, en dehors du Parlement. Ccs adresses emanaient de members de l'Institut de France, d' educateurs a tous les degres de l'enseignement, d'anciens combattants, de porteurs de valeurs mobilieres, de mutualistes, de chambres de commerce. Et it parait que des requetes individuelles, non signalees par la presse, affivaient en meme temps au Palais de l'Elysee.

Or, que peut le president de la Republique ? A premiere lecture, les trois lois constitutionnelles de 1875 semblent lui conferer des pouvoirs etendus. II dispose de la force armee, it choisit les ministres, it nomme a tous les emplois civils et militaires, it promulgue les lois, it preside le Conseil des ministres, it negocie et ratifie les traites, it peut communiquer avec le Parlement par des messages, it peut dissoudre la Chambre des deputes sur l'avis conforme du Senat, it peut demander la nouvelle deliberation d'une loi, it peut. . . . Suspendons l'enumeration pour arriver au dernier ain't& de Particle 3 de la loi du 25 fevrier 1875, qui dit : " Chacun des actes du president de la Republique doit etre contresigne par un ministre." Dans la pratique, cette regle du seing et du contreseing tend a nullifier toutes les prerogatives.

En effet, Particle 6 de la meme loi confere au president de la Republique l'irresponsabilite complete, hormis le cas de haute trahison, tandis que les ministres, eux, sont responsables politiquement devant les Chambres et peuvent encourir egale- ment dans certaines circonstances la responsabilite civile ou penale. La necessite pour les responsables de contresigner les actes de l'irresponsable ne peut que paralyscr l'initiative de celui-ci. Lorsqu'il fut demissionnaire, it y a pres de quarante ans, Casimir-Perier declara : " Le president de la Republique ne peut rien par lui-meme ; it pcut valablement mcttre sa signature a cote d'une autre, si on le lui demande ; mais, sauf sa &mission, tout ce qu'il est seal a signer ne constitue qu'un autographc de collection."

En outre, it n'y a pas que la loi &rite ; it y a aussi la coutumc constitutionnelle, qui peut la completer, la modifier, meme la detruire. Ainsi les lois constitutionnelles ne parlent nulls part de president du Conseil, ni de sous-secretaires d'Etat, ni de cabinet ministeriel, ni a plus forte raison de ce conseil restrient que M. Edouard Daladier vient d'instituer. Ici la coutume remplace la loi. Inversement, certaines attributions presidentielles sont devenues caduques parce qu'elles n'etaient pas exercees, ou bien parce qu'elles etaient exeraes mal a propos ; par exemple, c'est aux maladresses dti marechal de Mac-Mahon que l'on doit l'abandon du droit de dissolution. Parmi toutes ces prerogatives, seals restcnt entiers le droit dc grace et celui de presider les solennites nationalcs.

Quelques presidents ont tente dc reagir. Casimir-Perier, hautain, prefera se retirer au bout de sept mois ; it ne pouvait se resigner " a comparer le poids de mes responsabilites morales l'impuissance a laquelle retais condamne." M. Alexandre Millerand, bourru et autoritaire, pretendit user de tous ses pouvoirs constitutionnels. Sa &mission devint inevitable devant une greve systematique de ministres. D'autres, tels Jules Grevy, Emile Loubet, Gaston Doumergue, tout en acceptant le role neutre d'arbitre, surent exercer une influence indeniable. Au lieu de se briser en intimant des ordres, ils renforgaient leur position en prodiguant les conseils.

Ce n'est qu'en theorie quc le president de la Republique est le chef du pouvoir executif. En droit constitutionnel it n'cst pas un gouvernant. Mais rien nc s'oppose a ce qu'il soit un dirigeant. Pour cela le prestige de la fonction ne suffit pas ; faut y joindre l'autorite personnelle.