23 APRIL 1937, Page 21

A PROPOS D'ALLUMETTES

LD'un correspondant parisien1 At, propre comme au figure, c'est de l'allumette aujourd'hui que nous vient la lumiere. Ecoutons M. Francois Milan, senateur et president de la Caisse autonome d'amortissement. II dit d'abord : " Nous voulons que cesse la 1 egende de l'allu- mette francaise qui ne s'enflamme jamais." Ensuite il declare : " Peut-etre l'exageration d'une fiscalite brutale n'est pas etrangere a l'arret de la circulation des richesses et a la pro- longation de la crise." II faut expliquer que la Caisse d'amor- tissement gere le monopole des tabacs et que recemment l'Etat lui confia aussi la gestion du monopole des allumettes. Rappelons, en passant, que le predecesseur de M. Milan fut M. Albert Lebrun, aujourd'hui president de la Re- publique.

Pendant longtemps le monopole des tabacs fut rattache au ministere des finances. Ce fut une gestion de fonctionnaires, inspiree de cette idee tres administrative que le fumeur est fait pour le tabac et non pas le tabac pour le fumeur. Void du reste comment on procede au ministere des finances : Les 19 et 22 fevrier le Times publiait des lettres de lecteurs qui ne comprenaient pas pourquoi il leur avait fallu subir une visitc de la douane a leur sortie de France. Le directeur-general des douanes vient seulement de leur repondre--dans le Times du 9 avril et en francais. Ce n'est pas comme cela que les services de M. Milan entendent proceder ; leur but, disent-ils, est " d'activer les transactions."

Revenons A nos monopoles. De meme que le commerce suit le pavilion, le tabac suit le soldat. Pendant la guerre nos allies distribuaient leurs cigarettes a tout venant. Le Francais• les trouva a son goat, si bien que, la paix venue, le scaferlati national avait peine it 'utter contre l'article d'importation. Devant cette concurrence, une gestion indolente ne montrait guere d'imagination commerciale. Cela changes apres gloat 1926, quand Raymond Poincare eut convoque l'Assemblee nationale pour instituer la Caisse autonome d'amortissement. De cette fawn il " insera le tabac dans la Constitution " et la gestion de la Caisse fut soustraite aux influences politiques. Six ans plus tard le benefice net avait double, grace a une presentation ingenieuse eta une publicite habile. En raison de la reduction du pouvoir -d'achat du consommateur la vente a diminue d'environ dix pour cent depuis 1932. Neanmoins, la demonstration a ete faite de ce que peut produire un monopole d'Etat des qu'il n'est plus Ore par l'Etat.

Maintenant c'est au tour des allumettes. Ce monopole periclitait. M. Milan veut en faire une industrie moderne et prospere. Pour commencer il a reduit les prix, ce qui ne manque pas d'audace a un moment oil tout rencherit. Mais it entend demontrer que c'est ainsi qu'on augmente la con- sommation. Il faut lui souhaiter succes, non pas pour econo- miser deux sous par boite, mais dans l'espoirque tous les autres monopoles y passeront. C'est ce qui manque le moans chez nous—poudres et salp8tres, cartes a jouer, eau de mer (il est interdit de puiser dans l'ocean parce qu'il y a un imp6t sur le sel !) On peut egalement classer parmi les monopoles tous les offices etablis par l'Etat pour contraler les prix ou la consommation ble, carburants, &c. Dans un autre ordre d'idees, on a accorde a is Confederation Generale du Travail le monopole de l'embauche sur les chantiers de l'Exposition, nous nous acheminons vers le monopole de l'enseignement, et en arrivant au pouvoir chaque gouvemement successif reclame le monopole de la verite politique. M. Milan a du pain sur la planche. (C'est une vieille habitude ; il faut que le Francais plaisante des qu'il s'agit d'allumettes.) Serieusement parlant, il faut esperer que la causerie radio- diffusee du president de is Caisse d'amortissement aura fait reflechir les dirigeants aussi bien que les dines. N'a-t-il pas dit d'une part : " Si nous reussissons, est-ce que le com- merce ne sera pas tente de nous inviter ? " et d'autre part : " Si nous reussissons, est-ce que l'Etat lui-m erne ne sera pas amene a penser qu'il vaut mieux abaisser le taux de certains impots qui empechent la vente et creent la sous- consonunation ? " Comme pour souligner l'importance de ces propos, le public apprenait le lendemain que l'indice du coat de is vie monte toujours. Combien d'allumettes n'acheterions-nous pas, si =la pouvait faire baisser le prix du bifteck !