23 FEBRUARY 1934, Page 12

Le Sauveur .

[D'UN CORRESPONDANT FRANcAIS]

C'EST une Write de fait que l'Histoire se complait se repeter. En 1926, deux ans apres les elections cartellistes, an moment ok la France se sentait, econo- miquement, sur le bord de l'abime, la conscience collective du pays reclamait ardenunent de ses voeux l'homme qui, pendant les angoissantes vicissitudes de la guerre, avait dignernent preside a son destin. A l'appel de la patrie, Poineare, comme toujours, repondait " present," et l'on sait que le miracle, aussitot, se produisit. En 1984, de nouveau, deux ans aussi—coincidence qu'il convient de mediter—apres le succes du cartel devant l'electorat, le coeur de la France est serre d'inquietude. Des evenements graves viennent de se &router ; une amorce de lutte fratricide a ensanglante les rues 'de la capitale ; les ministeres s'ecroulent sur un rythme de vertige ; et une voix s'eleve, imperieuse, la grande voix du pays meurtri, mais enfievre quand meme d'espoir, et, qui redit, sans cesse, un nom Doumergue.

Du fond de sa retraite; oil, dans le calme de la solitude, rex-president a, mainte fois, envisage avec lucidite l'avenir de in patrie, celui que Von appelle d'un bien beau nom "Le Sage de Tournefeuille ", entend monter vers lui le grand desk de la France, et, sentant aver clarte que rinstant est fatidique, it s'incline simplement, et tres noblement, devant le choir de la nation. Le sort, qui; déjà, lui avait permis de realiser, en 1926, l'Union en appelant Poincare, le design, cette fois, personnellement, pour mener a bien l'oeuvre de saint; et Gaston Doumergue n'est point de ceux qui se derobent a rinstant du peril.

L'annonce de l'acceptation du Sage a produit aussitOt reffet d'apaisement escompte. Paris a repris, avec cette faculte d'adaptation qui le caracterise si vivement, son aspect aimable de l'avant-crise. La politique est rentree dans le salon du travail ; la Chambre a cesse de dormer le navrant spectacle d'une arene de luttes ; les passions se sont cab-flees, et le pays, s'ouvrant a la confiance, a renonce a douter de ses destinees. Le sourire de Gaston Doumergue, ce sourire legendaire qui lui avait valu, du temps de son septennat, Ia plus. contagieuse popularite qu'ait jamais connue President de la Republique, a symbolise pour toes la renaissance morale de la patrie.

Le succes du nouveau Premier tient sans doute, en dehors de ses qualites d'homme d'Etat, au fait qu'il apparait au pays tout entier comme eminemment representatif du caractere national. On le sait affable, spirituel, ennemi de la morgue et du faste. On sait aussi qu'il aime la mesure, requilibre, la justice et Ia clarte. On sait, enfin, que son fameux sourire est le masque d'une bonte agissante, d'une lumineuse comprehension, d'une energie tres delicate, et l'on se plait a reconnaitre en sa simplicite le vrai visage d'une indiscutable valeur.

C'est pourquoi—bien qu'il s'en snit defendu avec nue modestie non feinte en se presentant devant les Chambres —la France attend de son chef la realisation du miracle qui la sauvera des forces de desordre, dont les menees chercheront, sans doute, a s'exercer dans l'avenir. On rapporte qu'en arrivant a Paris, le surlendemain de rinsurrection, le president se tourna vers Mme. Doumergue et lui dit avec emotion : " Allons, je vais recommencer." Ces paroles, prononcees avec taut de simplicite couragense, alors que la gare d'Orsay vibrait des acclamations frenetiques d'un peuple, ont su trouver le coeur du pays. II n'est personne, ici, a l'exception des extremistes et des emeutiers de profession, qui ne souhaite " rexperience du saul-cur " le plus durable et lc plus eclatant succes.