24 APRIL 1936, Page 17

• Pelerinage

[D'un correspondant parisien] EN ces heures oh les conjonetures internationales ramenent les pensees de la France vers l'eventualite d'une aggravation de In menace rhenane, les souvenirs se reportent d'eux- m ernes en foule sur le eonflit atroce qui ensenglania. voici vingt aims, notre sol martyr. Comment pourrait-on. dans le monde, ne point crone it la volonte de paix de notre pays, quand notre terre, nos champs, nos bois portent encore hi eicatrice profonde des minutieuses tortures qui tear furent infligees ? Nous qui avons subi, Ii l'interieur meme de nos frontieres, la loi barbare de In guerre, n'avons-nous point le devoir de douter et le droit de prevoir ?

C'est un devoir, qu'en tout ens, nous impose. en la noblesse de son imperieux silence, la leeon de grandeur qui Sc degage de nos champs de bataille. De In mer aux Vosges, In ligne, que stabilisa si longtemps In guerre de position, invite, actuellement plus que jamais sans doute, ui an pelerinage. Si tous ceux qui, dans l'univers politique, matt charges des responsabilites majeures l'accomplissaient, en ecoutant en eux monter la grande voix des souvenirs et, du tragique humain, il West aueun d'entre eux qui ne s'efforeerait de tout tenter, y eompris 'Impossible, pour interdire le retour de pareilles horreurs. De ee " front " qui jalonne, a travers toute In France, la route du sacrifice, deux points sont, entre tons, saisis.sants. Ailleurs, on a releve les ruines et essaime la joie; le tnagnifique effort de reconstruction des Regions liberees s'est revele, partout, prodigue d'audace, de bonheur et de succes. Mais deux zones lui oat resiste : le Chemin des Dames et les forts de Verdun sont rest& tels qu'ils se trouvaient It la fin de In tourmente, c'est-i-dire dans un etat d'indescriptible devasta- tion. Tout au long du Chemin des Dames, oil se deroulerent les heroiques vicissitudes de l'offensive de 1917, ce ne sont que tranchdes bouleversees, herissees de barbeltcs tordus et de chevaux de frise eparpilles. Au creux des sillons, que trace d'un geste patient et seculaire In charrue pacitique, ii n'est point rare de decotivrir des fragments de tuniques, des fusils, des douilles d'obus, des ossements. En certains endroits, meme, le travail de la terre a (la etre formellement interdit : In "zone rouge" conserve la, intact, he secret de ses mines et de ses bombes incendiaires, dont tout contact risquerait, aujourd'hui comme jadis, de provoquer l'explosion.

Aux alentours de Verdun, l'impression cat plus emouvante encore. Sur ces 'tants de Meuse, qua rendus legendaires l'epopee de 1916, les cmpreintes des mitrailles Sc sont gravees. tenaces, irreparables. Que l'on observe le champ saere, it l'est comme a l'ouest de Verdun. on eat frappe de la mettle hantise fantomatique, obsedante, quasi lunaire. Les trous d'obus, qui s'enchevetrent en une territiante sarabande. aujourd'hui flee, et d'autant plus poignante, donnent it tout le paysage une grandeur irreelle et redoutable, intense pourtant et humainement irresistible. (rest la terre des morts

im- mnortels, le muet domaine des eimetieres militaires. tout blanes, si blames, SOUS les phis du drapcau. L'un apres rant re, chaeun d'entre eux vient, sur le bord dii elientin, dresser In sepulerale multitude de ses humbles emix, signe stylise, presque fragile, et combien puissant eepentlant, de la divinite de lcur don. Ensemble d'un ineoncevable pathetique et que couronne de sa fierte unique l'ossuaire gigantesque de Donau-- mot-it. Dresse dans un decor predestine it In fatalite dii grandiose, un phare spectral y veille, tout an noir de la nuit, sur les milliers de soldats angla is. francais, allemands, qui dorment lit, cote it cote, de leur It iliac et fratternel sommeil. La pens& de semblables euntualites fait fremir. II West point que l'homme, d'ailleurs, qui en eprouve l'angoisse ; la nature entiere participe It 'Inquietude de In gnerre. Sait-on que si l'Alsace cat actuellement It peu pres entierement desert& par lc s fanailieres cigognes qui, jadis, mirent une note si pittoresque sur ses villages et ses riantes cornpagnes, c'est que ces visiteurs silks furent, durant quatre annees, mis en fuite par le grondement sinistre du canon. Ainsi s'est envole l'oiseau de taste augure qui portait, dit-on. bonheur an pays de Sainte Odile. Abandonnee par les celestes messagers, l'antique province &Alsace retrouvera-t-elle, dans une entente sincere des peuples, la garantie, au moms terrestre, d'une paix durable . . . Tel eat le voeu que se doivent de former, en ces jours troubles, toutes les nations de bonne volonte. R. L. V.