24 MAY 1935, Page 15

Vieux Paris

[D'un correspondant fransais] LES necessites d'un urbanisme eclaire et rationnel viennent de conduire les Miles parisiens a faire disparaitre un assez grand nombre de vieux quartiers de la capitale. Autour de Saint-Merri, aux abords de 1' eglise Saint-Julien-le-Pauvre, sur le flanc de la Montagne-Sainte-Genevieve—pour ne parler que de la region de Ia cite--ce ne sont que maiscn en demolition, que rues entieres eventrees. De Ia foule des curieux qui stationnent deviant les chantiers s'elevant des appreciations diverses: les hygienistes approuvant sans reserve, tandis que les admirateurs du passe deplorent la dispersion de chers souvenirs. S'il y a unanimite pour recon- naitre que la lutte contre le taudis doit etre poursuivie, voire intensifiee, personae ne refuse aux amis des vieilles ehoseit le droit d'adresser un adieu emu aux temoins muets d'evene- rnents glorieux ou, parfois, troubles, qui constituent l'histoire de Paris et meme, pourrait-on ajouter, l'histoire de la France.

Avant que soient retombes dans foubli ces vestiges venerables, it sera pent- 'etre permis de fixer quelques curiosites cueillies parmi les antiques ruelles actuellement menacees par la pioche du demolisseur. L'origine de certaines de ccs arteres remonte a plusieurs siecles ; les noms pieusement transmis de generation en generation refletent un passe evocateur que nous souhaiterions faire revivre brievement. Reminiscence des annees revolues qui nous repose= passagere- meat de l'aprete de l'existence presente.

L'eglise Saint-Julien-le-Pauvre, dont 11 a etc déjà fait plus haut mention, apres avoir etc en partie devastee par les Normands, fut rebatie pendant la deuxieme moitie du XIIe siecle. Elle est remarquable par son style ogival primitif. On y celebre aujourd'hui le culte catholique grec. Eneerclee dans un groupe de maisons tombant de vetuste, elle se verra degagee a son avantage par les travaux en cours.

Non loin de la, a proximite de l'eglise Saint-Severin, se trouve la rue de is Parcheminerie, qui date du XIe siècle et dont le nom tire son origine de l'important marehe de parchemins qui y tenait sec assises. Au temps de Rabelais,' les " escholiers et gentes baehelettes " etaient les hetes assidus de ce quartier.

Dans les memes parages, la rue de la Huchette nous rappelle un souvenir emouvant : au numero 10 de cette voie. etroite et vieillotte existait, a la fin du XVIIIe siecle, un petit hotel portant l'enseignc du " Cadran bleu." En 1795, pendant Ia periode incertaine ou son genie cherchait encore sa voie, oii ilvegetait momentanement sans emploi et sans solde, Napoleon Bonaparte occupait dans cet hotel une chambre• qu'il payait a raison de trois francs par semaine. De sa fenetre, it await vue sur la Seine et, aussi, sur la cathedrale qui devait, neuf ans plus tard, le recevoir et le couronner enapereur.

Le moyen age a laisse des emprcintes profondes dans une rue voisine, la rue du Fouarre. dont le nom etait autrefois rue du Feurre, c'est-e-dire du fourrage de la paille. En .ce temps-la, les eseholiers se groupaient, assis sur la paille, autour des chaires de leurs professeurs. D'apres une tradition, c'est la que le sublime Dante, lors d'un des sejours qu'il fit a, Paris, suivit les cours d'un maitre illustre, Siger de Brabant, dont it fait mention dans la Divine Comedic."

La rue actuelle de l'Ecole de Medecine fut, pendant la Revolution, le theatre de scenes inoubliables. Elle portait atom le nom de rue des Cordeliers. Au numero 20, etait la porte du logic de Marat ; c'est la que Charlotte Corday surgit, le 13 Juillet 1793, pour poignarder dans sa baignoire le publiciste, ennemi des Girondins.

Le Passage du Commerce, qui donne sur le boulevard Saint-Germain, renferme, au numero 4, le soubassement d'une tour datant de Philippe Auguste, car c'etait a cet endroit que passait l'enceinte de Paris au commencement du XIIIe siecle. Le numero 9 presente une autre curiosite- de sinistre memoire, celle-la—en 1790, le docteur Guillotin r essays sur des moutons le couperet de sa " philantropique machine a decapiter," qui devait, sous la Terreur, accomplir de si lugubre besogne.

Cels sont, en bref, quelques-uns des souvenirs qu'evcille, en l'esprit du flaneur, une derniere et reveuse visite it ces pierres qui eurent leur histoire et qui devront, demsin,