25 AUGUST 1939, Page 18

SIGNES EXTERIEURS

[D'un correspondant parisien]

PAR la force des choses les Francais sont devenus philosophes. Sans cela certains auraient pu hesiter a prendre des vacances

cet ete. Car les menaces exterieures persistent et elles se compliquent d'apprehensions d'ordre pecuniaire. La vie reste chere et les impOts augmentent, tandis qu'un nouveau souci surgit sous la forme de " signes exterieurs de richesse."

En France nous n'aimons pas les contributions directes. Nous les considerons comme une invasion de la vie privee.

Par contre, l'impot indirect a beau nous pressurer de tomes parts, nous l'acceptons sans trop regimber. C'est irraisonnable mais tous les arguments du monde n'y changeront rien. Le Francais est fait comme cela. II fallut la guerre pour asseoir

l'impot sur le revenu—avec de nombreuses exemptions. Et vingt-cinq ans plus tard, it en juger par les declarations

officielles, la fraude serait la regle plunk que l'exception. C'est certainement exagere. Neanmoins, a chaque changement de gouvernement le premier soin du nouveau ministre des finances est d'annoncer des mesures contre les fraudeurs.

Profitant du regime des decrets-lois, le ministre actuel a pris sur lui de trencher la question. II a institue le principe d'un minimum imposable, base sur certains signes exterieurs--loyer, domestiques, automobiles, yachts et ecuries de course. Cela remonte au moil d'avril, mais on en parle encore. Il y aura tout le temps pour discuter, puisque le minimum d'imposition ne doit entrer en application qu'a partir de l'an prochain.

Ce decret-loi innove radicalement. D'une part il tend it etablir l'impot sur le capital. Le ministre, du reste, ne l'a

pas cache. A l'avenir tout citoyen vivant stir son avoir se trouvera atteint par l'impot. On le console en lui disant que le minimum d'imposition " est fixe a un niveau ties modere."

Mais ce n'est pas la seule innovation. A l'origine de son application, il fut entendu que Pimp& sur le revenu n'aurait aucun caractere inquisitorial et qu'il ne violerait pas ce secret personnel auquel les Francais sont si attaches. Pourtant le controleur des contributions se trouve autorise aujourd'hui I franchir le mur de la vie privee. Qu'en resultera-t-il?

Le premiere consequence sera sans doute d'atteindre d'assez nombreux intermediaires ou speculateurs qui menent vie large sans offrir de prise au fisc. Generalement ils affichent suffisam- ment leurs depenses pour qu'on puisse les taxer d'office. Ce sera parfait. Mais tous les cas ne sont pas aussi simples. En matiere de depenses les apparences peuvent etre irompeuses ;

par exemple, la maison familiale amortie depuis long-temps, les jeunes manes qui escomptent l'avenir et s'installent sans

consideration de leurs ressources actuelles, la veuve qui ne pent inunediatement reduire son train de vie, le ménage chargé d'enfants qui ne saurait se passer de domestique malgre les sacrifices que cela entraine. Le decret-loi produira beaucoup de ricochets.

II va de soi que la possession d'un yacht ou d'une ecurie de course presuppose un joli revenu. Mais une automobile?

Deja l'administration a reconnu que la puissance importe moires que l'age. Le pere de famille proprietaire d'une forte voiture, mais vieille et achetee d'occasion, n'est pas necessairement plus riche que le celibataire qui ne pilote qu'une huit-chevaus, mais

du dernier modele et a carrosserie luxueuse. Le fisc l'a compris, puisqu'il a consenti de faire abstraction de vehicules comptant plus de dix ans d'age. Il lui faudra certaine-

ment accepter d'autres accommodements. A la campagne, par exemple, de gros cultivateurs portent encore blouse et casquette, tandis la vile plus d'un modeste employe doit sacrifier aux apparences et se vitir a la derniere mode.

Mais meme si l'on accepte le principe d'imposition selon les depenses, deux questions se posent. D'abord les frais de con- trole ne seront-ils pas eleves, en raison des recherches neces- saires pour etablir les signes exterieurs? Ensuite le nouveau system= est-il opportun? On demande aux Francais de depenser le plus possible afire d'aider a restaurer reconomie nationale. Qu'adviendra-t-il si en meme temps on impose ces depenses?

Cela nous ramene a noire point de depart. Les voyages et villegiatures figureront-ils au nombre des signes exterieurs? La encore les cas d'espece ne manqueraient pas. En attendant, tout le monde est parti pour la campagne, la montagne ou la mer. On ne reprendra les soucis ou'a la rentree.