26 OCTOBER 1934, Page 13

DEUIL NATIONAL

[D'UN CORRESPONDANT FRANcAIS]

LA quinzaine qui vient de s'ecouler aura vu In France frappes par deux fois en plein cceur. A une semaine exactement d'intervalle, se sont deroulees deux ceremonies funebres d'une emouvante grandeur et d'une profonde affliction : les obseques nationales de Luis Barthou et de Raymond Poineare. Deux de nos plus &Intents homilies d'etat, que la lutte await, de leur vivant, rettnis phis d'une fois cote a cote, ont trouve, dans le symbolique rapprochement de leur mort, l'occasion supreme de conununier encore.

L'atmosphere, toutefois, du dernier hommage que leur a rendu Paris s'est montree, en raison des circonstances, sensiblement differente. Le Ministre des Affaires Etran- geres etait tombs soils les balles d'un assassin. L'ancien President de la Republique succombait, lui, calmement A la montee d'un mal deja enracine. Et it etait Rise de percevoir, a plus d'un signs furtif, que le recueillement de la foule n'etait point de nature identique.

Le meurtre de Louis Barthou souleva, des qu'on le sut fraternellement lie A l'assassinat du roi-chevalier Alexandre de Yougoslavie, un sentiment houleux -de bouleversement et d'indignation. Le sens de l'hospitalite, qui est si fortement anere dans les limes francaiscs, tressaillit d'apprendre l'horriblc forfait perpetre a Mar- seille. A peine connuc, la nouvelle de l'attentat courut sur les Boulevards comme une trainee de poudre. Ce n'etait que visages anxicux, regards eperdus, levres crispees. On apprit d'abord le deces du souverain, et une immense angoisse gonfla le caur innombrable de la foule. Puis, dans la soiree, In confirmation que Louis Barthou etait, lui aussi, tombs victime du lache guet- apens, mit le comble a la stupefaction douloureuse et A l'indignation contcnuc de la population de Paris. On pleurait, mais on maudissait plus encore. Le &sir d'un chatiment immediat et d'un exemple saisissant se lisait dans tous les yeux. Et dans le pieux defile qui vint battre, deux jours entiers, contre le cercueil . du ministre, s'exprimait, d'evidence, l'espoir des honnetes gens de France en setts politique d'assainissernent et de justice qui ,vient, enfin, de se mettre en marche.

Tout autre fut la reaction de Paris a l'annonce de in mort du President Poineare. Aucun element trouble ne vint, ici, se meler a la respectueuse douleur qui etreignit le pays. Depuis longtemps on savait que la sante du "Sauveur du franc " etait, sans espoir, ebranlec. Ecarte de la vie publique par l'affaiblissement physique, Raymond Poineare restait cependant un embleme et une lecon. Son influence morale s'exergait chaque jour dans le domaine de l'idee. Il representait, dans ce qu'il a de plus haut et de plus sacre, l'esprit de l'union nationale. Et sa figure altiere, netts, marquee de clarte lucide et de sensibilite, sous le masque .d'apparente froideur, incarnait pent-etre ce que les Francais, au fond de leur Ante, apprecient le plus en un chef. .

L'ultime adieu de. la capitale a l'illustre disparu fut, entre tous, d'une simplicite grandiose. Transports sous le. majestueux dome du Pantheon, depositaire de nos plus pures gloires, le corps de Raymond Poineare recut, pendant deux jours, l'hommage d'un peuple immense, ardent et recueilli, apaise et fervent. Les heures les plus emouvantes furent, certainement, celles de la soiree de vendredi, oil, sous les feux conjugues des projecteurs illuminant de mauve et de blanc les fines colonnes du .temple, .une foule de plusicurs milliers de personnes s'en vint, jusqu'a minuit passe, apporter l'offrande de son silence a celui qui, devant le jugement de l'Histoire, resters l'un des plus grands Francais que notre terre ait