27 OCTOBER 1939, Page 9

EN GUERRE

Par UN SOLDAT FRANCAIS

LES jours qui ont precede la guerre, le tintamarre assourdissant des communiqués, des fausses nouvelles officieuses et des dementis officiels, qui nous cassaient les oreilles de leurs tons discordants, le supplice quotidien de l'espoir renaissant et toujours *Li, la hate, les soucis nouveaux des heures fievreuses de la mobilisation, du depart des families, sont passes comme un songe.

Je me suis reveille un matin, a l'aube, dans la paille d'une grange lorraine, soldat de la Republique Francaise, l'esprit clair et &gage de preoccupations desormais inutiles, avec le sentiment reconfortant d'une stabilite retrouvee. L'incerti- tude de la vie militaire a quelque chose de permanent dans quoi on s'installe avec une insouciance beak, qui forme petit a petit, mais tres rapidement, le fond du caractere du soldat et lui permet de ne jamais envisager que les mcilleurs des sortes et de garder intacte, en toute circonstance. une aveugle confiance en ses chefs et en son etoile personnelle.

On vit d'heure en heure, de corvee en corvec, de marche nocturne en matinee de repos, de salade genereusement offerte par une fermiere a un debrouillard loquace et jamais a court de ressources en volaille prestement plum& devant le feu de midi autour duquel s'affairent des cuisiniers benevoles a la vocation soudain revelee.

Desormais l'accidentel est devenu l'essentiel, la vie con- tinue d'etre possible sit& que les valeurs renversees ont prix leurs places nouvelles dans les consciences. I: adaptation est variable. Pour le Francais elle est extremement rapidc. En ces courtes semaines, ces paysans Bretons, Normands, Vendeens, ces ouvriers de la banlieue parisienne ou du Nord, qui m'entourent, qui forment autour de moi un halo d'amitie discrete, quelquefois blagueuse, mais toujours chaude et sincere, ont retrouve l'esprit de la discipline, la notion de l'obligation militaire, la conscience d'unc grandeur humblement quotidienne, qui sommeillaient en eux depuis le temps de leur jeunesse ou, soldats de Farm& active, ils effectuaient leur service militaire.

feeds ces lignes en toute liberte d'ame. Jamais pout-titre ne me suis-je senti detache de ce qui n'est pas le red, le vrai, l'immediat. Tous savent pourquoi ils sont la, tous souhaitent revenir le plus tot possible, mais pas avant que soit defini- tivement abuttu le spectre qui, tous le six mois, se dressait devant eux, sur le chemin de leur vie. Le grandeur de la tache ne peut preoccuper que ces chefs responsables dont le soldat ne percoit que de temps a autre, a la lumiere d'un ordre venu de haut, la volonte de direction. Sa Cache a lui, it la connait, it l'execute a chaque heure de sa vie. Que lui importe le reste?

Un beau soleil inonde les prairies et les boil qui se fer- ment, comme en ecran de verdure, sur le petit village or) nous sommes =tonnes depuis plusieurs jours. Dans une clairiere, oil la vive lumiere matinale fait etinceler l'herbe toute blanche de gelee, des hommes creusent une tranchee. Les cultivateurs ont la partie belle. Lours pioches s'abattent dans la glaise dure avec une regularite de machine.

Une escadrille d'avions passe dans le ciel, en triangle, comme des oies sauvages. Les hommes discutent: Anglais ou Francais?—" Peut-titre des Boches? " Mais aussitot une voix s'eleve, une voix que je connais bien, celle d'un petit Vendeen, dur, patient et gai, mon voisin de paille, mon ami; it chante:

" Allons, mon vieux, taut pas s'en faire, Car bientot finiront nos miseres. . . ."

Je passe sous silence le reste de cette proclamation d'opti- misme assez peu aimable (et esperons le injuste) pour la vertu des dames restees a Parriere.

Secteur calme!