27 SEPTEMBER 1935, Page 20

Mauriciens

[D'un correspondant francaisl LE bi-centenaire de In fondation de Port-Louis par rillustre marin Mahe de la Bourdonnais ramene actuellement la curiosite de l'opinion viers le double destin de cette ile Maurice, qui s'appela jadis Ile de France avant de devenir le " joyau de In couronne d'Angleterre." Colonie britannique (run loyalisme tres sur, Maurice n'en garde pas moms le souvenir, et les habitudes, parfois, d'un passe qui lui reste cher—elle est, en miniature, une replique australe du Canada, ayant, comme lui, continue de cherir la dualite de son histoire. Nulle part l'esprit d'entente entre la France et la Grande- Bretagne n'apparaft mieux fonde pour justifier lc resserre- ment d'une union, dont rexistenee se rev ele, chaque jour, plus indispensable pour Ia paix du monde.

Il no saurait nous etre indifferent que le bi-centenaire de Port-Louis ait fourni aux autorites anglaises, et—sur leur gracieuse invitation--aux delegues francais, une occasion de glorifier publiquement l'oeuvre de Mahe de In Bourdonnais. Si rintrepide capitaine frit, en effet, pour l'Angleterrc un ennemi redoutable, it lui appartint, par un retour paradoxal des choses, de sonner grandeur, rayonnement et prestige a une future possession britannique. C'est lui qui, nomme en 1788 gouverneur general des Iles de France et de Bourbon, reussit, en moms de cinq annees, a faire de Maurice un centre vital des relations maritimes entre l'Europe et l'Inde.

La triche, cependant, cut semble impossible a tout autre- L'ile Mauricc—ainsi denommee par les Hol]andais, en hommage au ills de Guillaume le Taciturne, Maurice de Nassau—etait lentement tomb& dans l'abandon, In •misere et le discredit. Lors qu'en 1715, les marins de In compagnie francaise des Indes orientales se presenterent devant ses cotes, ils trouverent le pays delaisse par ses premiers maltres. Ayant decide de l'occuper, fls y planterent le drapeau national, et lui donnerent le beau nom d'Ile de France. Mais les ressources demeuraient precaires, et l'entreprise n'eut pas etc viable, sans les exeeptionnels talents de in Bourdonnais. Improvisateur de grande race, esprit lumineux et prophe- tique, it eut ('intuition immediate du role que pourrait jouer sur in route de Pondichery retablissement nouveau, a con- dition de le doter d'un port abrite et inexpugnable. Sur ses instructions, lc " Grand-Port " qui avait, jusqu'il cette epoque, constitue In seule rade de rile, fut abandonne, en &pit de sa majeste naturelle, et l'on creusa, en 1735, dans une situation extremement sure et protegee, le havre de Port- Louis, dont la fortune allait etre prodigieuse.

A cette fondation ne se borna point ractivite de in Bour- donnais. Preoccupe d'assurer a la colonic un developpernent durable, it organisa sans Mai rimmigration d'une elite de colons issus de Bretagne et de Normandie. 11 etablit, en personne, un plan de travaux agricoles, et donna leur essor aux cultures industrielles du coton, de l'indigo, de In canne a sucre, et des epices, Il parvient" memo, en &pit dc la, resistance initiale des habitants, a introduire dans rile le manioc, qui devait bientbt devenir rune de ses richesses essentielles.

Dans l'ordre militaire it crea de toutes pieces un corps de police indigene qu'il revetit, non sans habilete, d'uniformes rutilants pour lui dormer le gout du regime. II fit de Port- Louis une base, oh l'on venait de fort loin faire reparer les vaisseaux, et it enrola tous les citoyens dans une milice, entrainee a defendre la cite contre le danger naval.

On sait comment, rentre a Paris, la Bourdonnais ne ren- contra en France que cabales, calomnies et ingratitide. Jalouse par Dupleix, deteste par Ia Pompadour, it fut fete dans la prison de hi Bastille, d'ob, reconnu innocent, ii ne sortit que pour mourir d'epuisement et de chagrin. Mais son oeuvre devait lui survivre. Theatre des exploits de Duperre, de Bouvet, et de Surcouf, l'ile Maurice resta, tout au long du XVIII° siecle, digne de rheroique tradition de Mahe. Et si, depuis sa cession en 1815 a la Grande Bretagne, elle a surtout pris une importance commerciale, elle n'en reste pas moms spirituellement riche. Franco-Anglais par le parallelisme des langues, des cultures et des reminiscences, les Mauriciens n'ont point cesse d'entretenir lid element le culte genereux de leur double patric.

R. L. V.