28 AUGUST 1936, Page 16

Devoirs de Vacances-

[D'un correspondant parisien]

LE Parlement est en vacances. . Le soleil s'efforee de briller. La politique occupe an peu moires de place dans les journaux. On pent esperer trouver bientOt d'autres sujets de chroniques. Pourtant it faut revenir a la politique cette fois encore pour relever une erreur de tactique qui petit peser sur les destinees

du cabinet Blum. A la seance de cloture de la Chambre le chef du gouvernement a résumé son oeuvre. 11 s'est felicitk d'avoir tenu ses promesses. C'est exact. Il a insiste sur in portee sociale de son action. Tout le monde reconnait qu'il y avait beaucoup de misere a smilager sans tarder. Mais it a donne des chiffres. En quoi l'avenir pourrait bien demontrer qu'il a eu tort.

M. Leon Blum s'est targue d'avoir fait voter.65 lois en dix

semaines. Cella compte. Deja M. Paul Reynaud, alors ministre des colonies de M. Andre Tardieu, s'etait vante d'en avoir fait voter a lui seul 39 en six mois. Sur quoi ses adversaires procederent a ranalyse des textes. C'est egalement ce qui se produit pour M. Blum. L'analysc est aisee puisque la liste des 65 lois a ete publiee. On y remarque d'abord que certaines d'entre elles auraient pu emaner de n'importe quel cabinet—Loi ouvrant un credit supple- mentaire pour l'exposition de 1937. Loi meant deux conseillers a Ia tour d'appel d'Alger. On remarque ensuite que, pour Ia moitie, -ces lois sont suivies de in mention : " Non encore promulguee." Et on apprend par surcroit que, tels les &oilers, les ministres ont des devoirs de vacances. tin communique- indiquc qu'il leur faut "mettre au point les textes votes par les Chambres."

En Angleterre, une fois que Lords et Communes sont d'aecord, la Couronne donne son assentiment et la loi est applimuee. Non pas en France. Une fois un texte vote par la Chambre et le Senat, it n'entre pas immediatement en application. Presque toujours ii faut un reglement d'adminis- tration publique, a la redaction duquel le Conseil d'Etat collabore. C'est precisement au Conseil d'Etat que M. Blum fit une earriere avant de devenir homme politique. Il sait done qu'une loi votee n'est pas necessairement une loi appliquee. Beaucoup de Francis l'ignorent, surtout parmi le petit peuple. L'erreur de tactique, c'est d'avoir meconnu cette ignorance.

Qu'arrive-t-il ? Le petit peuple, principal soutien du Front populaire, apprend par son journal qu'une loi dite sociale a ete votee. II s'en rejouit, car it en attend une amelioration de sa situation. Rien ne vient. II s'informe. On lui fait comprendre que in loi—sa loi—quoique votee, n'est pas encore applicable. II s'en etonne. Le doute nait dans son esprit. Va-t'on encore une fois le bercer de bonnes paroles ? Et it applaudit quand, citant in lettre de St. Just a Robespierre, l'organe eommuniste emit : " On fait trop de lois, trop peu d'exemples."

On voit que les chiffres de M. Blum peuvent aller rencontre du but vise, tant chez ses partisans que chez ses adversaires. Its peuvent nuire egalement, en dehors de la melee politique, aupres de ces gens reflechis, qui veulent appro- fondir avant de se prononcer, et qui ont conserve une certain influence sur leurs concifoyens. Ceux-la craignent trop d'improvisation parmi tant de lois. En dehors de raccroisse- inent des depenses, ils s'inquietent de voir que les conse- quences d'une loi n'ont pas toujours ete mesurees avant le vote. La semaine de quarante heures, par exemple, a entraine la fermcture des magasins d'alimentation le lundi. Le cone paye a desequilibre a tel point le budget de norn- breux petits patrons qu'il va falloir leur venir en aide. L'augmentation uniforme des salaires dans l'industrie metal- lurgique menace de ruiner les fabricants de jouets en fer-blanc ; ils se lamentent, car une automobile de cinq francs ne peut supporter les memes charges qu'une veritable voiture vendue a 50,000 frs.

Il est clair faudra mettre au point bien des choses.

Du reste le gonvernement en convient. Il promet pour la rentree du Parlement une autre foumee de lois—lois nouvelles aussi bien que lois modifiant d'autres lois. Puisque ropposi- tion ne peut ni ne veut entraver l'oeuvre du cabinet, surtout peur lui en laisser rentiere responsabilitk, it semblerait sage de legiferer sans hate. Car it est certain que quand M. Blum se felicitait d'avoir tenu ses promesses it songeait resprit des fois, non a la lettre.