28 JANUARY 1938, Page 17

ANOMALIES DU REGIME

[D'un correspondant parisien]

IL est difficile pour un Anglais moyen de suivre les evenements politiques en France. Rien n'y ressemble aux mithodes anglaises ; on a beau croire reconnaitre des mots, leur signifi- cation speciale deroute. C'est qu'en realite nous vivons sous un regime quelque peu paradoxal dont il faut tenir compte avant de porter jugement. Pour faciliter la comprehension il n'est pas inutile de souligner quelques anomalies.

Au tout premier rang il y a celle de la Constitution. La Troisieme Republique, en effet, a ete etablie sur les bases d'une monarchie constitutionnelle. C'est si vrai que he mot " republique " n'a ete accepte que par voie d'amendement. Mais cette Constitution elle-meme, sous bien des rapports, n'est plus aujourd'hui qu'un instrument caduc. On aurait la plus fausse idee de nos institutions si l'on se bornait aux textes de 1875. Car la coutume constitutionnelle est venue

se juxtaposer aux lois constitutionnelles, quand elle ne les a

pas simplement remplacees. II est ecrit, par exemple, que he President de la Republique a le droit de dissoudre la Chambre avec l'assentiment du Senat, ainsi que celui de demander une nouvelle deliberation des lois. Or, dans la pratique, ces deux droits sont tombes en desuetude.

Cette Chambre virtuellement indissoluble a egalement ses anomalies. Elue pour quatre ans, elle demeure souverainc

pour cette periode, meme s'il est notoire qu'elle ne represente plus I'opinion de la majorite des electeurs. Ce qui est encore plus &range c'est que he Chambre peut a son tour subir un gouvernement de minorite. A trois reprises depuis la guerre, par exemple, une Chambre de gauche s'est trouvee en fin de legislature dominee par un cabinet de droite. Car sans dissolution l'impulsion populaire ne peut se manifester que tous les quatre ans.

Pour trouver l'explication de ces contradictions il faut examiner le role des partis dans notre systeme parlementaire. Dans la Chambre actuelle it y a seize groupes ; leurs effectifs varient de deux a 156, pour un total general de 618 deputes.

Huh de ces groupes comprennent non seulement leurs propres adherents mail aussi des membres " apparentes." Il y a donc au moins vingt-quatre partis. II est av ere que ces partis ne se forment pas en raison des problemes ; au contraire, ils s'efforcent d'adapter les problemes aux hommes. D'autre part beaucoup d'electeurs s'enrOlent dans un parti pour aban- donner ensuite leur libre arbitre, tandis que beaucoup d'elus voient dans he parti surtout un moyen d'arriver au pouvoir.

Quoi qu'il en soil, avec cette multiplicite de partis aucun ne peut aspirer a la majorite absolue. Tout gouvernement est donc necessairement de coalition ; chaque groupe participant exige he prix de sa participation, chaque non-participant celui de son soutien. Et tant que l'equilibre reste instable le gouvern- ment doit marchander. De sorte qu'insensiblement he pouvoir legislatif empiete sur l'executif. Mais d'autre part les groupes parlementaires eux-memes, en tant que mandants des partis, sont soumis au contrale de leurs comites executifs, lesquels peuvent en referer a un congres national. Ainsi les partis leur tour empietent sur he pouvoir legislatif. Il y a un exemple classique : ce congres radical qui provoqua la chute d'un cabinet Poincare en votant la cessation de la participation.

Il existe en outre, en dehors des partis, des groupements corporatifs ou autres dont certains exercent une indeniable influence politique tout en n'ayant aucune representation directe a la Chambre. Les cabinets de Front populaire ont innove en consultant officiellement he plus puissant de ces groupements, la Confederation generale du Travail.

De cet apercu schematique it ressort qu'en France les partis tendent a devenir tout-puissants, politiquement parlant.

(Signalons en passant, sans vouloir en tirer conclusion, que c'est a gauche qu'on trouve les partis doctrinaires de type rigide, tandis que ceux de droite sont plus souples et inor- ganiques.) Cela n'irait pas sans danger s'ils venaient a con- fondre parti avec pays. L'histoire est la hereusement pour rappeler qu'en cas de crise vitale l'union se fait pour sauver he pays. L'anomalie c'est que les partis consentent a la treve seulement lorsqu'il n'y a plus le moindre doute quant a la gravite de la situation ; c'est au bord du gouffre que se fait l'union.

Un paradoxe pour terminer : Ce sont les Francais qui ont la reputation d'etre logiques en politique et les Anglais celle dc muddling through.