28 JULY 1939, Page 17

AU SON DU TAMBOUR

[D'un correspondant parisienl

LE journaliste devrait se garder d'anticiper sur les evenements. Son role d'historien au jour le jour eat suffisamment ingrat sans y ajouter celui de prophete. Mais comme neanmoins II faut bien sacrifier a l'actualite, is tentation eat forte de franchir le pas qui separe le present du futur. Ainsi nous laissions entendre l'autre quinzaine que les fetes commemoratives de la Revolution, surcharges de discours, n'attiraient guere la foule. Or notre chronique paraissait le jour mime de la revue du 14 juillet et les Parisiens s'y rendaient en masse. On n'avait vu telle affluence depuis le Defile de la Victoire en 1919.

Il est vrai que cette fois la revue presentait un attrait par- ticulier. Elle rappelait, comme de juste, la prise de la Bas- tille, mais elle soulignait aussi "I'Alliance cordiale." Et la participation de contingents britanniques lui donnait mute sa signification. C'est bien dans cc sens que les Parisiens com- prenaient la Fête nationale de 1939, puisqu'a chaaue fenetre l'Union Jack se mariait A nos trois couleurs. lit les tuniques ecarlates de votre Garde royale dechainaient It &lire.

Comme la grande-duchesse d'Offenbach, le Francais ail= les militaires. Pendant longtemps, du reste, on lui en a tcnu grief. On le traitait de " belliciste " parce qu'il s'attroupc volontiers au son du tambour. C'etait meconnaitre son verit- able caractere, fort complexe en verite, puisque pacifique autant que cocardier. Pour s'en rendre compte ii n'y a qu'a considerer le role du tambour dans noire vie quotidienne.

Les encyclopedies nous disent que l'usage du tambour " remonte a la plus haute antiquite." Nous nous en doutions.

Elles disent egalement qu'apres son introduction en Europe,

" probablement par les Sarrasins," il fut adopte d'abord par les Espagnols, les Italiens, les Allemands et Its Anglais. Ce

ne fut qu'au icte siècle qu'il parut dans l'armee francaise. C'est possible. Mais c'est moms le tambour militaire que le tambour civil qui nous interesse aujourd'hui, et les encyclo- pedies sont muettes quant A l'epoque de son implantation dans nos moeurs. C'est une lacune regrettable.

Car que voyons-nous de nos jours? Dans la moindre bourgade c'est le tambour de vile qui crie les objets perdus, aussi bien que l'arrivee du cirque forain. Dans les pares de province c'est un tambour qui bat la retraite A la nuit tombante pour annoncer la fermeture des grilles. Naguere encore dans nos lycees tons les mouvements des Cleves s'operaient au son du tambour, du reveil jusqu'au coucher. Dans un delicieux conte d'Alphonse Daudet un petit patissier evoque les trois sommations du tambour les jours d'emeute. Sous l'Arc de Triomphe chaque soir un muffle de la guerre prelude sur sa caisse an renouvellement de la flarnme symbolique. Et c'est accompagne de rataplans que le president de la Chambre des Deputes, detonnant en plein jour dans son habit de soiree, se rend solennellement A son fauteil.

Du reste, l'iconographie du tambour n'est pas sans im- portance. Dans la peinture militaire, la gamme eat vaste, depuis la caisse isolee en tete d'un groupe have et farouchc qui vient de se rendre avec les honneurs de la guerre, jusqu'au triple rang precedant les regiments qui vont defiler devant le grand chef. Dans la peinture civile—si l'on ose dire-1e tambour semble syrnboliser la democratic luttant pour sea droits. C'est le compliment habituel de la barricade, et c'est invariablement un adolescent qui tient les baguettes. II suffit de rappeler le jeune tambour du Delacroix du Louvre: "La Liberte guidant le Pcuple."

Le philosophe pourrait trouver dans tout eels matiere A meditation. Car A l'encontre des autres instruments, le tambour agit sur It diaphragrne plutot que sur l'oreille. La percussion se traduit par une impression essentiellement physique. Le moment angoissant du defile de 1919 que nous evoquions plus haut fut It passage initial de cent tambours, derriere lesquels venait un groupe de grands blesses. Chaque coup de baguette torturait. Des hommes pleuraient, des femmes defaillaient.

Quoi qu'il en soil, le tambour n'est pas sans lettres de noblesse. Ne dit-on pas que le due de Guise, pretendant A la couronne de France, joue de cet instrument avec virtuosite? Et Maurice Ravel n'a-t-il pas compose un Bolero, oil la caisse n'arrete pas depuis la premiere mcsure jusqu'a la demiere?