28 SEPTEMBER 1934, Page 12

LE TRIOMPHE DE LA CAMERA

[D'UN CORRESPONDANT. PARISIEN]

ON n'ignore point quelle lutte farouche se livrent depuis plusieurs annees la scene et l'eeran. Le septieme art, dernier venu au monde de l'esthetique et bafoue d'abord a ses debuts, a rapidement conquis dans la faveur du public une place telle, qu'actuellement c'est lui qui fait, sans conteste, figure de vainqueur. Petit a petit, les theatres les plus- reputes de la capitale francaise ont du baisser pavilion devant leur adversaire inieux arme peut-titre, et surtout mieux soutenu par l'irresistible approbation d'un gout populair soigneuse- ment standardise. On peut dire, sans exageration, que la " scene des boulevards," qui donna, avant guerre, le ton a une certain desinvolture, non denuee d'esprit, laquelle passait pour assez representative de la maniere parisienne, n'est plus presentement qu'un souvenir. La ou jadis s'elevait discretement le theatre du Vaudeville, se dresse maintenant l'architecture orgueilleuse du cinema Paramount, et si l'on vent chercher le symbole actuel de l'art boulevardier, ne le trouve-t-on point dans cette masse monumentale du Rex, enorme monstre de pierre toute blanche, qui se pretend " cinema atmo- spherique," parce que son plafond bleu est orne d'etoiles peintes, et en l'illusion duquel it y a sans doute mobs de superbe que de naïveté ?

Il est assez clair que l'avenement du " parlant " a porte un coup mortel aux theatres de second ordre. La realisation du dialogue a l'ecran, jointe aux possibilites infinies du mouvement et des decors exterieurs, a defini- tivement mine les scenes qui ne faisaient, jusque la, que vivoter. L'un de nos meilleurs dramaturges, passé au cinema, a pu ecrire recemment, dans un article qui fit, on s'en doute, quelque bruit, que le theatre ne se releverait pas de sa decadence. La these s'appuyait sur ce fait indeniable que la meme piece attire, adaptee a recran, un public milk fois plus nombreux que lorsqu'on la jour reellement sur les planches.

A cette argumentation it devrait etre aise de repondre que seuls ont sombre les theatres qui ne s'imposaient pas par leur prestige seculaire ou par la valeur de leurs inter- pretes. Et cependant, lorsqu'on y reflechit mieux, l'on ne tarde pas a s'apercevoir que, merne les plus illustres de nos scenes nationales trahissent, elles aussi, un malaise, une inquietude ; et qu'une evolution assez nette se laisse presager dans leurs relations futures avec le septieme art. N'apprend-on pas, en effet, que la Comedic Francaise, qui jusqu'ici avait oppose une indifference hautaine aux progres du cinema et qui apparaissait comme le dernier bastion du theatre pur, vient, en quelque sorte, de capituler. Lasse de mener la resistance de front, elle s'est &cid& a une manoeuvre en souplesse et a introduit partiellement l'adversaire dans la place. Le resultat de cette collaboration inattendue est que nous assisterons bientot a la presentation d'un film extremement curieux, -dont la partie contemporaine sera constituee par une adaptation des Precieuses Ridicules et dont le prologue retrospectif consistem en une evocation du passé de la Comedic Francaise, depuis les treteaux du Marais jusqu'a nos jours. Un procede tout recent de laboratoire per- mettra, par l'utilisation de vieux disques ulteriemement synchronises, de ressusciter non seulement les gestes, mais la voix des grands artistes que furent de Max, Mounet et Sarah Bernhardt. Quand nous aurons ajoute que l'Opera annonce, pour cet hiver, la representation de drames lyriques, oa les decors, mouvants, seront projetes • sur un &ran, comment pourrions-nous ne pas conclurc en saluant ce triomphe de la camera, auxiliaire juvenile