2 JULY 1937, Page 20

CONTRADICTIONS

[D'un correspondant parislen]

CE matin le journal disait : " Ce qui n'est pas clair n'est pas francais." Le soir un autre reprenait : " La France, pays de clarte." Des " c'est logique " et des " ce n'est pas logique " ponctuent la plupart de no conversations. C'est toujours avec une pointe de fierte que le Francais proclame que le genie de sa race repose sur la raison.

Nous nous efforcions, d'expliquer tout cela a quelques visiteurs d'Outre-Manche au cours d'un dejeuner a l'Exposition, mais ils ne paraissaient pas convaincus. Il est vrai que nous parlions politique et singulierement du remplacement de M. Leon Blum par M. Camille Chautemps. En fin de discussion, du reste, la conclusion s'imposa que le changement de ministres avait laisse les problemes entiers et que ceux-ci sont d'autant plus difficiles a resoudre qu'ils representent vingt annees de contradictions. Autrement dit, logique et politique font deux. II ne saurait s'agir ici, bien entendu, de politique de parti, mais seulement d'une vue d'enst-mble oil les groupes se fondent dans la masse. En verite, les contradictions sont aussi bien de droite que de gauche ; parfois meme c'est precisement sur l'illogisme que les partis tombent d'accord. Ainsi, dans le domaine des finances, celui qui predominera pendant longtemps encore, nous persistons a etablir les depenses publiques avant de considerer les recettes. Ce n'est qu'ensuite que la logique reprend momentanement ses droits avec la constatation : " L'Etat recoit quarante milliards par an, mais en depense quatre-vingts. Comment en sortir ? "—c'est le titre d'un article que signait l'autre jour un parlemen.taire influent.

Pour en sortir, les gouventements songent periodiquement aux pleins pouvoirs. On les accords a Raymond Poincare, plus tard egalement a M. Pierre Laval. On les refusa a M. Blum, ou plutot on lui proposa cette contradiction : des pleins pouvoirs limites. Or, lorsque Poincare eut ebauche une refonte de l'administration, lorsque M. Laval eut promulgue des decrets- lois par dizaines, leurs successeurs se mirent a defaire tout ce qu'ils avaient fait. L'avenir reservait peut-etre le meme sort aux mesures que preparait M. Blum.

Passons a la politique. Dans le Front populaire, la Con- federation generale du Travail joue un role considerable et les ministrcs consultent ses dirigeants. Pourtant elle, est hors la loi. En 1921 un jugement du tribunal de premiere instance dc la Seine prononcait sa dissolution et condamnait ses chefs a l'amende en tant que gerants d'une association illegale. Naturellement, ils firent appel, mais, au bout de seize ans, cet appel n'est pas encore venu devant in cour. De meme, les syndicats de fonctionnaires restent illegaux ; nearunoins leurs delegues siegent a certaines commissions ministerielles. Rappelons, en passant, que personne ne s'offus- qua lorsqu-un ministre armoncait naguere que la siniplification de ses services se traduirait par une augmentation de personnel.

Evidemment, on peut s'accommoder des contradictions - par exemple, it n'est plus question aujourd'hui de dissoudre la Confederation generale du Travail. Mais elks demeurent et l'illogisme d'en haut engendre l'illogisme d'en bas. Ne voit-on pm se manifester, dans les conflits ouvriers, une tendance a accepter l'arbitre mais a rejeter sa sentence lorsqieelle est defavorable ? Dans l'industrie heiteliere les employes reela- ment une augmentation de salaire egale a l'elevation du coat de la vie ; pourtant its sont loges et nourris. Les travailleurs ont proclame que l'achevement de l'ExpositiOn marquerait le triomphe de leur cause ; pourtant ils croisent les bras " pour eviter le chOmage eventuel."

Inutile de multiplier les exemples. Its sont tous les effets d'une meme cause. Pretendre resoudre les problemes sans se resigner a les poser, voila l'illogisme initial. Il conduit les honunes a se refugier dans des formules. On disait apres la guerre : " Les Allemands payeront." Maintenant on dit : " Les riches payeront." Les formules de ce genre sont la negation de l'esprit critique ; elles ne conviennent pas a un pays qui orne ses timbres-poste du buste de Descartes.

Ces constatations faites, it ne faut pas desesperer. Les vingt =tees de contradictions correspondent en sonune a une periode de transition. La guerre mit fin a une epoque qui ne reviendra jamais. Puisque le retour au passe est inipoisible, it importe de reconstruirc avec methode sur des bases nouvelles. M. Chautemps entend prolonger in "pause " preconisee par son predecesseur. Elle permettra in reflexion 'et, it faut l'esperer, le retour a In clarte francaise.