2 JUNE 1939, Page 18

CEUX DE L'INFANTERIE

[D'un correspondant parisien]

LES menaces de l'heure ont donne toute sa signification a la Journee nationale de l'Infanterie frangaise. ll s'agissait de parfaire la somme necessaire a Perection a Paris d'un monu- ment aux fantassins de la Grande Guerre. Chacun eut coeur d'y contribuer, car l'infanterie c'est la nation, la race meme, avec mutes ses vertus—et ses defauts.

Depuis long-temps déjà chaque commune de France a eleve un monument a ses fils morts pour la patrie. Malgre le

gout deplorable de certaines statues fabriquees en serie, iI est toujours touchant, dans un humble village, de s'arreter devant la liste de ceux tombes au feu. Certaines ne depassent pas six noms; elles n'en sont que plus poignantes. De huit millions d'hommes mobilises, plus de six millions ont appar- tenu a l'infanterie—et elle a subi 85 pour cent des pens.

Patiente comme toujours, elle aura attendu vingt arts son monument. Dans la personne du Poilu, defenseur du sol, it commemorera les survivants aussi bien que les morts, les espoirs aussi bien que les sacrifices.

Malgre la specialisation amenee per le perfectionnement des armes, l'infanterie continue .d'emaner du people; le fantassin reste le type du citoyen-soldat. Chaque com- pagnie demeure le reflet de la nation—paysans, ouvriers et employes pour la majorite, avec un appoint de bourgeoise et de professions liberales. Le capitaine place a sa tete joue un role qui depasse de beaucoup son grade modeste. Il lui faut veiller au bien-titre, moral et materiel, de 250 hommes qui d'instinct lui font confiance. Qu'il s'en montre digne et il les conduira oii it voudra. II est permis de croire que le marechal Petain doit une panic de son ascendant a l'experience acquise quand it commandait une compagnie d'infanterie.

Car avant de pretendre conduire le fantassin francais il importe de penetrer son caractere complexe. Au panache de Cyrano, a Pideal du volontaire de Valmy, au franc-parler du grognard de l'Empire, ajoutez un esprit eveille et debrouillard, une forte mesure de patience et de courage, un sens nine de justice, et vous aurez le type parfait du soldat l'infanterie. Par-dessus tout, il demande a comprendre, car le Francais n'abdique jamais son individualite. C'est precise- ment l'individualisme qui le distingue du soldat de tout autre pays; c'est aussi pourquoi it faut beaucoup de comprehension pour le commander. Exagere, Pindividualisme detruirait la discipline, mais ce serait la ruine de Pinitiative que de le reprimer.

L'adaptabilite du fantassin francais est devenue proverbiale. Reine des batailles, sans doute, Pinfanterie est egalement bonne a tout faire. Dans ses rangs Bugeaud trouva son soldat-laboureur, Gallieni son soldat-colon. Le peuple aime le fantassin, car il est a son image. Pour la foule, le " pioupiou " des refrains populaires represente l'armee entiere. C'est lui aussi que choisissent peintres et sculpteurs pour symboliser la defense nationale. Les autres--artilleurs, sapeurs, aviateurs —font panic des " armes savantes." Quant au cavalier, il ne sera bient6t qu'un souvenir.

C'est du reste le sort qui attend le fantassin lui-meme. L'evolution de Part de la guerre necessitera sous peu un nouveau nom pour rinfanterie. A son tour le " pioupiou " devient technicien—grenadier, mitrailleur, artilleur meme avec son petit canon d'accompagnement. Et il marche de main en mains. Deja, vers la fin de la Grande Guerre, les troupes se deplacaient en camion automobile. Aujourd'hui on ne parle que de divisions motorisees et de bataillons transportes. Le fantassin de l'avenir roulera sur les routes.

C'est dans Pordre des choses—partout le pieton disparait. Les temps approchent o6 it n'y aura plus raison d'apprendre a marcher! Les jeunes membres de societes de preparation militaire viennent se se presenter aux epreuves annuelles. Elles component une marche sur route de vingt-cinq kilo- metres, sac au dos. Il parait que beaucoup n'ont pn aller jusqu'au bout et que les medecins eurent I prodiguer les pansements. Comment s'en etormer I une epoque oil l'autocar dessert les campagnes les plus desheritees et oil mains cultivateur se rend aux champs en automobile—pour y atteler sa charrue I un tracteur?

Neanmoins, nous aimons I croire que ni le nom ni le mode de locomotion n'altereront les qualities de ce fantassin clout nous pouvons avoir besoin d'un jour a Pautre.