2 MAY 1941, Page 17

Angleterre Pour L'Etranger

English Music. By W. J. Turner.—The English Poets. By Lord David Cecil.—British Sport. By Eric Parker.— The Government of Britain. By G. M. Young. (Collins. 3s. 6d. each.) COMME les grander invasions, les guerres moderns provoquent de vastes migrations de peuples. Des milliers d'honunes qui ne peuvent supporter de vivre sous une oppression s'en vont respirer dans d'autres pays l'air pur de la liberte, et si l'Arnerique offre it certains plus de securite, ceux qui ont pu venir en Angleterre one la joie de se sentir associes a une lutte dont le but est precise- ment de reconquerir tout ce qu'ils ont perdu. Leur pre- sence sur le sol anglais pendant de long mois va pre- senter pour eux un autre avantage; c'est de leur permettre de voir de pres certains aspects de la vie, de l'esprit, de Time anglaise. Mais qui va les guider dans cette instruction?

Naturellement, fls peuvent se plonger dans la litterature anglaise, et cela est assortment recommandable mais fort long. Ou bien ils peuvent essayer d'assimiler un des ouvrages que leurs corn- patriotes ont consacres a la description de l'Angleterre et de ses habitants. A ces tentatives d'explications par des strangers au pays, n'y a-t-il pas lieu de preferer, si elles existent, celles redigees par des Anglais eux-mimes? Mais existent-elles et sont- elles accessibles aux lecteurs profanes?

A cette question jusqu'a hier on pouvait repondre negative- ment, mais voici qu'il vient de me parvenir quatre charmants petits volumes qui sont autant d'elegantes reponses et qui en annoncent d'autres.

Prenons un de ces ouvrages : English Music. II est redige par un des plus eminents critiques musicaux anglais, M. W. J. Turner, mais n'est pas reserve aux specialistes. Tout homme cultive pourra le lire avec plaisir. Suivant un plan historique, il expose en peu de mots, illustres par de spirituelles gravures, combien riche a pu &re, au tours des siecles, la musique popu- laire ou savante de ce pays qu'injustement on n'a pas coutume de compter parmi les pays musicaux. Et c'est une revelation. On decouvre que le people anglais a su, des le Moyen-Age, com- poser d'etonnantes chansons, comme ce majestueux "Chant sur la bataille d'Azincourt" qui date de 1415, ou les " carols " pleins de fraicheur comme " I sing of a maiden." On suit avec interet la part prise par les Anglais dans le developpement de la musique sacree au seizieme siècle, spits le Francais Josquin des Pres et en mime temps que l'Italien Palestrina. Le passage, sous l'influ- ence de Monteverde, de la musique polyphonique et savante I la musique monodique, plus capable d'exprimer remotion d'un texte d'opera, nous amine au grand Purcell, l'auteur de Didon et Etta, et au Beggar's Opera de John Gay. L'ouvrage ne serait pas complet s'il n'Evoquait un genre de musique tree spontani- ment par les marins britanniques : les " shanties," oil un chceur de marins repond at. solo du meilleur chanteur du bord.

De leur cote, les pokes anglais, de Chaucer I nos jours, sont decrits par Lord David Cecil. En face d'un ties emouvant portrait de Chaucer par un artiste inconnu, it rappelle dans rceuvre de ce tits grand poke, les deux vers qui evoquent torte la destinee de rhoname, et qu'un Lucrece ne desavouerait pas, pas plus qu'un Horace, ami de Postumus : "Now with his love, now in the cold grave, Alone, withouten any company."

Et plus loin ii salt, en un habile raccourci, decrire tout le drams elizabethain, du Doctor Faustus de Marlowe a la puissance de Shakespeare, qui sait rompre avec toutes les regles quand it s'agit dc traduire de la facon la plus realiste et la plus poetique tout un flot de pensees et de sentiments dramatiques. A John Donne, d'un lyrisme direct et puissant, souvent obscur et parfois fulgurant, mais jamais conventionnel ni apprete, vient s'opposer Milton, herolque et sensible, dont les vers d'abord finement ciseles et imaginatifs deviennent plus tard d'une sublime austerite. Suivant Milton de pres dans le XVIIerne siècle, viennent Dryden et Pope, d'une perfection academique, habile et pleine d'artifice. Mais l'auteur a hate de nous amener au grand mystique William Blake, precurseur du romantisme. Apres lui, c'est une grande Epoque pour la poesie anglaise, avec Wordsworth, Coleridge, puis Keats, le dynamique et thatral Byron et surtout le charmant Shelley. II fait etre reconnaissant I Lord David Cecil d'evoquer en quelques mots la bouleversante figure d'Emily Brontë. T. S. Eliot termini dignement un ouvrage qui a su dormer le goin de connaitre davantage la poesie anglaise.

Le livre de M. Eric Parker sur le sport britannique saura nous divertir en nous revelant bien des choses sur l'originc de ce goOt pour le sport, que les Anglais ont su faire partager aux autres peuples, mais souvent sans que ceux-ci arrivent a apprecier tout le sens de l'esprit sportif. M. Parker nous donne des details pittoresques sur la chasse a courre ou a fusil, nous montrant pour- quoi la chasse au coq de bruyere ou a la perdrix doit etre con- sider& comme plus distinguee que la chasse au faisan. Il revele aussi a beaucoup de profanes la distinction entre les poissons " vulgaires," bons pour le commun des pecheurs a la ligne, et les poissons " sportifs," comme le saumon et la truite, trouves dans certaines rivieres seulement, specialement affermees a cet effet. Dans la description des autres sports, celle du cricket, ce jeu si incomprehensible aux etrangers, et son histoire, est particuliere- ment revelatrice.

J'ai garde pour terminer le livre de M. G. M. Young sur le gouvernement de la Grande-Bretagne. Il est interessant de voir que comme les precedents, il est fait sans aucune solennite. Il s'agit de montrer par quelle evolution progressive la souverainete a ete acquise au Parlement britannique, et comment elle se trouve largement deleguee aux divers departements ministeriels. La deuxieme partie demontre habilement le mecanisme de la confection des lois, le fonctionnement des commissions, et la procedure des questions, apres quoi nous sommes inities au fonc- tionnement du pouvoir executif; controle financier, pouvoirs locaux ministeres nous sont successivement montres.

II est remarquable en si peu de pages d'avoir donne un tableau aussi complet d'une matiere aussi difficile. Pour beaucoup d'etrangers, it y a sans doute ample matiere a reflexion; s'ils veulent s'inspirer de ce remarquable exemple de democratie, ils agiront comme ont agi avant eux les Montesquieu et les Voltaire au XVIIIeme siecle, les Guizot et les Tocqueville au XIXeme siecle. Le gout de la liberte qu'ils sont venus rechercher ici sera peut-titre aussi pour eux l'enseignement de la liberte.

GUSTAVE MOUTET.