30 DECEMBER 1938, Page 16

LA QUESTION DES COLONIES

[D'un correspondant parisien]

jAMAIS on n'avait tant parle de nos colonies. C'est rev ene. ment du jour. Naguere nous traitions ici-meme de l'Empire frangais, en soulignant que le citoyen moyen n'en avait encore qu'une conception assez vague. Tout a change d'un coup, du moms quant a l'interet populaire. Ce ne sont que discours et articles glorifiant l'idee coloniale. Un journal parisien publie meme, en guise de feuilleton, le recit romance des exploits de nos premiers colonisateurs.

Certes l'Exposition coloniale de 1931, grace a l'impulsion geniale d'un Lyautey, avait frappe l'imagination de millions de visiteurs. Mais leur memoire en retenait surtout le cote pittoresque et anecdotique—une suite de dioramas. Malgre toutes les manifestations de ce genre, la masse en etait rest& aux syntheses simplistes : l'Afrique, des cacahuetes et des soldats noirs ; l'Asie, des petits Armamites et le temple d'Angkor ; l'Amerique . . . le bagne. Selon cette appre- ciation sommaire, nos possessions d'outre-mer etaient destinees surtout a servir de garnison pour les troupes coloniales et d'exutoire pour, les rates de la Metropole. Bref, toutes les traditions surannees persistaient.

Assurement, il y avait un noyau de gens avises qui voyaient dans l'Empire bien autre chose : une realite precise ainsi qu'une grande promesse. Mais on les traitait volontiers de visionnaires. On les ecoutait d'une oreille distraite, et si parfois on se rendait a leurs arguments, les moyens d'agir de leur en etaient pas moins mesures avec parcimonie. Les colonies faisaient toujours figure de parents pauvres, aussi bien dans les milieux officiels qu'aux yeux du peuple. Du reste, on pourrait dire sans trop d'exageration que dans bien des cas l'Empire s'est developpe a l'insu du Parlement. C'est que les problemes europeens, avant la Grande Guerre comme apres, reclamaient toute l'attention des dirigeants. Un seul souci dominait sans cesse la politique exterieure : garantir la securite du pays, soit par le jeu des alliances, soit par des obligations collectives. Dans ces conditions la plupart des grands parlementaires se desinteressaient des questions coloniales. Georges Clemenceau, par exemple, ne s'en occupait guere que lorsqu'elles lui fournissaient l'occasion de renverser un ministere.

Toute cette politique s'ecroulait a Munich il y a quelques semaines. II s'ensuivit en France un revirement d'opinion immediat et remarquable. Le president du Conseil lui-meme donnait le ton : "La France est un Empire. La reside pour tine large part l'avenir de la France." Apres lui, d'autres developpaient le theme : " Cessons d'essayer de jouer le role de gendarme en Europe. Nous n'avons rien a y gagner, beaucoup y perdre. Les evenements recents le prouvent suffisamment. Assurement il importe d'etre en bons termes avec les autres nations, surtout avec nos voisins. Mais pour le reste contentons-nous de cultiver notre jardin, en l'espece nos colonies." Et le pays applaudissait dans sa grande majorite.

Sous peu ce meme conseil nous parvenait d'outre-Rhin, des qu'il fut avere que la France et l'Allemagne s'appretaient a signer une declaration pacifique. A Berlin des journaux ecrivaient : " Une fois cette declaration acquise, la France pourra se consacrer a son grand domaine colonial, dont l'exploitation servira au mieux non seulement sea propres interets mais ceux du monde entier." On ne manqua pas dans notre presse de rapprocher ces conseils de ceux que donnait Bismarck a la jeune Republique ii y a cinquante-cinq ans : " Voyez donc du cote de Tunis." Pins, des le protectorat etabli, l' Italie se jetait de depit dans les bras de l'Allemagne et adherait a la Triple Alliance. L'histoire allait-elle recom- mencer ? La reponse ne se fit pas attendre. Les Italiens se mirent a darner leurs revendications coloniales—au Parlement, dans la presse, dans la rue.

Le plus clair resultat de ces clameurs a ete de completer le revirement d'opinion en France. Discuter des relations franco-italiennes nous conduirait trop loin aujourd'hui ; ii convient nearunoins d'avouer que les torts n'ont pas toujours ete chez la voisine. Mais il semble bien que cette fois ce sont les Italiens qui ont manqué de finesse. Ii y a eu de leur part. erreur de psychologie. Devant tine France divisee en apparence par les querelles politiques et les conflits de classes, ils ont dü croire l'occasion belle. Sans doute s'attendaient-ils a voir croftre le trouble. us n'ont reussi qu'a rendre tous les Francais Empire-conscious,