30 JUNE 1939, Page 17

QUE FAIRE DE NOS FILS ?

(D'un correspondant parisien1 Nous nous trouvons de nouveau en pleine pe:riode d'examen. Pour le baccalaureat il y aura eu a Paris 26,500 candidats contre 24,o00 ram& derniere. Il faut en compter, pour la France entiere, plus de 8o,000 au minimum, tant garcons que filles. Ajoutez les concours d'admission pour les grandes ecoles civiles et militaires, depuis Polytechnique jusqu'i l'Institut agronomique, et le chiffre depassera nao,000. Il y aura naturellement beaucoup d'echecs. Nearunoins le nombre des laureats sera assez grand pour causer de l'inquietude. Car toutes les professions restent encombrees et, par surcroit, le recrutement des fonctionnaires est suspendu. Nous avons déjà trop d'avocats sans causes, de medecins sans clientele, de diplomas en chomage. Et que faire des refuses?

Probleme pour les families, probleme aussi pour le pays, car l'afflux vers le baccalaureat s'accompagne d'une penurie d'ouvriers qualifies. II faudrait des maintenant avoir le courage d'attaquer ce probleme de face. Sans cela la situation pourrait devenir irremediable. Elle derive, scion plus d'une voix autorisee, de ('application de principes democratiques sous unc forme demagogique. Certes, il est equitable que tous les enfants, sans distinction de classe sociale, aient acces l'enseignement secondaire. La gratuite de cet enseignement pent se defendre aussi, malgre la lourde charge qu'elle represente pour les contribuables. Mais n'est-ce pas leurrer tous ces enfants, ainsi que les parents, que d'ouvrir des perspectives qui, dam trop de cas, se borneront a l'obtention d'un diplame?

Il est bon—il est necessaire meme—que le paysan ou l'ouvrier puisse faire de son fils un " monsieur." Mais it ne faudrait pas lui laisser croire qu'il suffit pour cela de devenir bachelier. Avec les lois actuelles le futur ouvrier qualifie recoit déjà un salaire au cours de l'aptprentissage. Le futur medecin, avocat ou ingenieur ne gagne rien pendant ses etudes ; il restera longtemps a la charge de sa famille, et tous ses diplomes ne lui garantiront pas une situation. Les esprits simples aiment a dire: " Avec de l'instruction on trouve toujours de bonnes places." C'est inexact—en tout cas cc n'est plus exact—et il faudrait le proclamer sur les toits. Mais on semble preferer les moyens detournes. On se contente de laisser affluer les candidats, tout en attendant des examinateurs toujours plus de severite. Cela nous promet au moins une generation de rates et d'aigris.

II y a bien is fameuse " orientation." Nous ne l'oublions pas ; nous en avons traite déjà ici-meme. D'apths ce systeme

on devra pouvoir, des l'admission a l'enseignement secondaire, indiquer aux families sur quelk voie diriger les enfants. C'est bien presomptueux. Quoi qu'il en soit, nous n'en sommes qu'i la periode experimentale. Elk semble se prolonger. On titonne toujours ; beaucoup affirment qu'on tatonnera encore longtemps. Dans l'intervalle le mal s'aggrave.

Deja certains preconisent le retour au systeme anterieur, celui des bourses, dont let nombre n'etait pas negligeable. Ce regime n'etait pas parfait, c'est certain; on lui reprochait avant tout son caractere d'aumeine. II presentait neanmoins un avantage de selection prealable. Grace aux bourses, du reste, plus d'un homme d'origine modeste occupe aujourd'hui une haute charge de l'Etat. Les bourses, en outre, contribuaient I ether une elite, ce qui est le dessein de " Porientation."

Rien n'est plus louable. Dans lat cite ideate l'apte montera et l'inapte descendra. Tous travailleront pour le bien com- mtm, chacun dans sa sphere. Encore aimerait-on savoir qui sera chargé de decider des aptitudes. Mais nous vivons dans le present Mil faut prendre la societe telle qu'elle est. II nous est possible de faire monter; legalement, nous ne saurions faire descendre. N'est-ce pa la l'ecueil sur lequel echouera " Porientation "?

Nous pouvons aider it fils du mason ou du charpentier I devenir bachelier; nous pouvons mime lui crier arbitraire- ment un emploi. Nous pouvons it la rigueur, par des procedes frisant Pillegalite, empecher le fils du bourgeois de se pre- senter aux examen. Mais nous ne pouvons pas lui dire : "Tu seras mason ou charpentier." Nous n'en ferons qu'un oisif. Et Poisivete sera toujours le plus grand flea' de la republique.

Le probleme reste done ender. Quittant i'abstrait pour le concret, la question se pose de nouveau : Que faire de nos fils? Sans parler de nos flies.