31 JANUARY 1936, Page 15

Jours de deuil

[D'un correspondant parisien] LoasQuE les ondes sillonnereni le del, apportant jusqu' aux regions les plus reculees la brutale annonce de is mort du roi Georges V, la vie du monde entier fut, pendant quelques in- stants, comme suspendue, toile etait universellement etablie et honoree Is renommee de bonte et de simplicite du monarque.

Si, plus encore peut-etre que toute autre nation, la France fut douloureusement saisie par cet evenement inattendu, c'est qu'elle n'a pas oublie Is reconnaissance qu'elle doit au sou- verain disparu, pour son intervention a nos cedes, aux jours tragiques de la Grande Guerre. De mem que, pendant cette periode funeste, nos deux peoples ne formaient qu'un peuple, souffraient des menses angoisscs et se nourrissaient des menses espoirs ; de m erne, au tours des sombres heures du deuil britannique, ils communient dans un sentiment confondu de tristesse et de regrets.

Quand la nation anglaise aura seche ses pleura et retrouve le calme lucide de son existence ponderee, ses regards recon- naitront les ands qui l'ont le plus fraternellement entouree pendant les jours de repreuve. Elle apprendra conunent In France a compati a sa douleur, comment dle a partage son affliction : par tout le territoire, les fetes officielles en prepara- tion furent decommandees ou ajournees ; lea monuments publics hisserent leurs pavilions en berme ; des services religieux furent celebres pour le repos de rime du roi ; accosts- pagne du Ministre des Affaires Etrangeres, du Ministre de is Marine et de hautes personnalites representant rarmee de terre, de mer et de l'air, le Chef de l'Etat tint a assister, en personne, aux obseques royales et it presenter lui-m erne it la famille regnante les condoleances ensues du pays entier.

Quant au peuple, it voulut, malgre les soucis de as politique interieure, temoigner de sa sympathie is regard de ses anciens freres d'armes, en suivant passionnement, dans les feuilles, le rappel des multiples faits memorables accomplis par le roi Georges V pendant les vingt-cinq annees de son regne glorieux et bienfaisant, ainsi que les details si emouvants relatifs aux dernieres heures de son existence terrestre. De toute son lime, it s'associa is is douleur de is grande famine, si etroitement unie, qui pleumit Is disparition de son chef venere.

Le peuple de France est de coeur simple et sensible ; it s'attache de tout son etre is qui I'aimc et le comprend. C'est ainsi, qu'il y a quelques jours a peine, it etait peniblement affecte en apprenant Is fin de l'un de ses meilleurs amis britanniques l'immortel Rudyard Kipling, dont l'attachc- ment pour tout ce qui touche it la France etait bien connu ; Rudyard Kipling, " recrivain le plus lu et le plus fameux de l'univers," comme le nommait recenunent l'un des membres les plus autorises de l'Acadesnie Francaise, M. Louis Gillet; Rudyard Kipling, le " poete de I'Empire," dont les contes inimitables charm erent—et charmeront toujours—les jeunca annees de nombreuses generati%ns. Quand is foule apprit, en meme temps que la mort de l'illustre ecrivain, Is demarche si touchante des autorites franeaises allant deposer unc gerbe de fleurs sur la tombc du lieutenant Kipling, snort au champ d'honneur et inhume dans un eimeti ere du front, comment n'en eilt-elle point etc emue jusqu'aux larmes Dormez en paix votre dernier sommeil, genial Kipling ; le pelerinage que vous accomplissiez si fidelement ne sera pas interrompu ; des mains ' pieuses continueront votre geste sacre, en fleurissant la tombe du fds que vous cherissiez et que vous avez rejoint !

Il semble superflu, apres ces Clans de eordialite divers Is nation anglaise, d'ajouter que la France reporters sur le roi Edouard VIII la veneration et l'affection qu'elle eprouvait pour son auguste pare. N'avons-nous pas is certitude de retrouver, chez le nouvel elu, les vertus que Georges V pratiqua a un si haut degre et qu'il s'appliqua it inculquer a ses enfants ? Du reste, le Prince de Galles connait de longue date, par les frequents sejours qu'il fit sur le sol francais, les qualites secretes de notre race, qui voit en lui le digne representant d'un peuple dont ramitie nous est, plus que jamais, precieuse. En cette aube de l'an par ces jours de janvier, propices aux souhaits sinceres, le peuple de France forme des voeux fervents pour que le regne du nouveau souverain, a l'egal de ceux de ses ancetres, s'av ere long et fecond en oeuvres de paix, pour le bonheur de ses

sujets et pour la prosperite du monde. R. L. V.