31 JULY 1936, Page 21

Nos Amis Les Anglais

[D'un correspondant parisien]

A VIMY les Francais ont acclame le roi Edouard VIII avec In cordialite la plus sincere ; ils sont contristes du renvoi de son sejour sur la Cote d'Azur. Car les Francais ont beau- coup d'affection pour le roi Edouard. Ils auraient affection aussi grande pour ses sujets si seulement its pouvaient lee comprendre. Le malheur est que les Francais ne voient pas les Anglais tels qu'ils sont mais tels qu'ils se les representent. Et ils sont stupefaits lorsqu'ils ne repondent pas an portrait preconcu. Eleve en Angleterre, public school boy, l'auteur de cette chronique est reste impregne de souvenirs de jeunesse. A son avis, bien des malentendus se dissiperaient si les Francais se decidaient a voir les Anglais autrement qu'a travers la litterature. Nous en avons tine conception trop livresque. L'autre jour, par exemple, un confrere qui voulait preciser remoi general produit en Angleterre par le geste de George Andrew McMahon, decrivait rindignation de " tous les petits David Copperlield, de toes les Mr. Pickwick." Nous trouverions bizarre chez un journaliste anglais de choisir les personages de Balzac pour depeindre la France contemporaine. Pourtant ce confrere faisait un effort de modernite ; bien d'autres pensent encore is William Pitt.

M. Georges Duhamel, le nouvel academicien, eraint que le cinema et la radio ne tuent le livre. C'est fort possible. Mais it n'en reste pas moires vrai qu'en France la part faite a in litterature demeure considerable. Nos lyceens pillissent sur des dissertations oil iI n'est question que de Corneille et de Racine, de Voltaire et de Rousseau, de classiques et de roman- tiques. Meme anjourd'hui maint adolescent cherche encore traduire sea emotions en alexandrins. La litterature deteint sur tout. Nos lettres, nos discours, nos rapports ofliciets, nos articles de journaux sont litteraires . . . oil voudraient l' etre. Nous demeurons esclaves de in fonnule : exposition developpement, conclusion. Pour cette raison, la concision nous est contraire. Si le conquerant du Scinde avait etk Francais, il n'aurait su rendre compte de sa victoire par un calembour d'un mot, meme latin.

Il s'ensuit que nous attribuons au document une importance exageree. Dans toute circonstance nous preparons d'abord un dossier, puis nous le plaidons. Car nous subissons egale- 'tient la puissance du verbe. Les mots arrivent a suppleer les realites. Raymond Poineare fut un grand plaidcur de dossiers. Sur ce point les Anglais, tout en reconnaissant ses grands merites, ne purent jamais le suivre.

Car l'Anglais n'est pas livresque. Il a sa litterature, dont il est justement fier, mais elle n'occupe pas dans sa vie une place preponderante. Oil le Francais veut etre orateur, l'Anglais se contente d' etre debater. Il ne meprise pas la valeur du document, mais it ne rerige pas en fetiche. Dcvant sea tri- bunaux le document ne vaut qu'autant gull est supporte par des temoignages. C'est la cross-examination qui fait la force de la justice anglaise.

Au Palais-Bourbon recemment un depute—invalide par la suite—lisait It la tribune lettre sur lettre. C'etaient des docu- ments, done on les acceptait. A Westminster on l'aurait questionne sur I'origine de ces lettres, sur les circonstances de leur redaction ; un tribunal anglais aurait voulu interroger leurs auteurs. L'Anglais prefere avoir a faire a rhomme plutbt qu'a la chose.

Voila quelques raisons, entre autres, pourquoi nous ne corn- prenons pas aisement les Anglais. Nous faisons pourtant preuve de bonne volonte. Nous demandons a l'Angleterre bien des choses, depuis ses jockeys jusqu'a sea biscuits. Nous concedons la superiorite de ses tailleurs. Nous envoyons nos enfants y passer les vacances. Nous profitons d'excursions dominicales pour voir Telever la garde au palais de St. James. Mais cela suffit-il pour connaitre l'Angleterre ? Nous avons importe le football Rugby et l'avons pratique avec fougue ; comment se fait-il qu'aujourd'hui les equipes britanniques refusent de rencontrer les notres ? C'est qu'en plus du jeu it y a son esprit. Si on les separe it ne reste pas grand chose. Il est devenu banal d'indiquer le role que joue le sport dans la formation du caractere anglais. Mais pour saisir ce role il faut saisir la comprehension anglais du sport.

L'Anglais n'a pas de constitution &rite ; it n'a pas de code. Mais l'Anglais a tree l'empire le plus vaste du monde moderne. Il y a la rapport de cause It effet. Pour comprendre l'Angle- terre it faut d'abord comprendre ce rapport.