3 DECEMBER 1937, Page 15

" MERCILESS IN TOIL "

[D'un correspondent parisien.]

" EXPO. 37 " a ferme ses portes. C'est la fin de la treve dont elle etait l'occasion. Il va falloir s'occuper encore de l'applica- tion de la loi des quarante heures, suspendue dans certains cas pour la duree de l'Exposition. Il s'agit surtout du moyen commerce et de l'industrie hOteliere. En sept mois on a pu se rendre compte de l'etat de la question ; a vrai dire, il reste inchange. Le probleme serait simple s'il etait uniquement economique ou uniquement politique, mais il menace de rester insoluble tant qu'il sera les deux.

Du point de vue economique it faut defendre le franc pour retablir les affaires ; pour defendre le franc il faut accroitre la production ; pour accroitre la production il faut travailler. 11-dessus tout le monde se trouve d'accord, depuis le president du conseil jusqu'aux mineurs syndiques du Nord. En tout

cas, c'etait l'avis de ces derniers au mois ; ils reconnais- saient que la rarefaction des marchandises, notamment du

charbon, faisait monter les prix. On envisageait alors l'augmentation simultanee des heures de travail et des salaires.

Du point de vue politique c'est une autre affaire. Ici le raisonnement cede le pas aux doctrines et aux symboles. Les dirigeants des syndicats l'expliquent bien ; " Nous avons conduit nos troupes au combat pour les lois sociales. Nous avons gagne la bataille et la semaine de cinq jours est devenue le signe de notre victoire. Vous nous parlez maintenant de diminuer cette victoire. Nous ne le pouvons pas, car ce serait notre propre defaite." Et les mineurs du Nord qui, en mit, acceptaient un principe economique, le recusaient en septembre au nom de la politique.

Les quarante heures, du reste, soulevent des cas de con- science. Pour rassurer ses electeurs, un depute demandait recemment au ministre du travail : " Si tin ouvrier travaillant dans une usine a raison de quarante heures par semaine, con- formement a la loi, peut, sans etre en contravention avec cette loi, se livrer chez des particuliers, en dehors de son travail d'usine, a des travaux de jarclinage retribues." Le ministre repondait : " Oui, en l'etat actuel de la legislation." Ce qui laisse supposer qu'il n'en sera pas toujours ainsi.

Malgre l'interpretation du ministre, beaucoup de travailleurs s'opposent a toute tache supplementaire, tant pour les autres que pour eux-memes. Its croient sincerement que ce serait trahir la cause ouvriere que de depasser quarante heures. Pourtant dans la masse le Francais est reste travailleur.

n'y a pas si longtemps qu'il trimait dix heures et plus chaque jour, souvent sans en excepter le dimanche. Il y avait la tine part d'atavisme ; au debut les travailleurs d'usine n'etaient que des paysans venus de ces campagnes oil le travail ne connait pas d'heures. Plusieurs generations plus tard la tradition persistait d'occuper les loisirs en travaillant encore afin d'arron- dir le salaire. Kipling avait vu juste : la France etait merciless in toil.

C'etait abusif. Les travailleurs finirent par s'unir pour obtenir gain plus fort et peine moindre. Its n'eurent satisfac- tion que par petites &apes. Puis, d'un coup, le Front populaire appliqua ses reformes—plus d'argent, moins de travail, des distractions pour les loisirs. Aujourd'hui on peut se demander si la transition n'a pas ete trop brusque, surtout si la transfor- mation de la semaine de quarante heures en semaine de cinq jours n'a pas ete tine erreur. Pendant la duree de l'Exposition les boutiquiers purent ouvrir six jours sur sept. Mais cette tolerance arrive a son terme. Va-t-on la prolonger ? On explique qu'il ne suffit pas de produire ; encore faut-il dis- tribuer ce qu'on a produit. Mais les employes ne l'entendent pas de cette oreille. Its craignent que s'ils cedent sur ce point toute leur victoire y passcra. C'est le travailleur maintenant qui se montre merciless.

" Un peuple qui entend conserver sa liberte a besoin de beaucoup plus de vertus et de travail qu'un peuple resigne a accepter des mots d'ordre." Montesquieu l'avait dit ; M. Edouard Herriot vient de le repeter. II a meme ajoute : " Le sort de la paix est lie par une large part au sort du franc." Puisque les partis avances adoptent la devise : " Pain. Paix. Liberte," it devrait etre possible, sur ces donnees, de concilier economique et politique.