4 DECEMBER 1936, Page 16

A L'Anglaise !

[D'un correspondent parisienl.

IL ne s'agit pas uniquement de pommes de terre. II s'agit A nouveau de notre incomprehension de l'Angleterre. Pour

le Francais moyen rindication " pommes a l'anglaise " ne signifie pas seulement qu'elles sont suites a l'eau ; elle represente a ses yeux une difference radicale entre races. Lui se targue d'être gros mangeur de pain ; non pas l'Anglais, qui le remplace invariablement par des pommes de terre.

En l'espece l'incomprehension est amusante y a des cas oh elle peut etre grave.

Une recefite chronique await aborde cette question. Elle est redevenue d'actualite. En effet, le parlement discute de la nouvelle reglementation de la presse proposee par le gouvemement a la suite du suicide de M. Roger Salengro. Preludant au depfit de ce projet de loi, des communiqués assuraient que " le texte s'inspire de Ia legislation anglaise." Or ce texte comporte deux parties. D'abord les &tits de diffamation visant des hommes publics seraient soustraits au jury pour etre soumis au tribunal correctionnel. Ensuite la reponsabilite du directeur serait engagee et non pas seulement °elle du gerant. L'intention est claire. Mais dans les communiques on ne comprend pas bien si la reference a la loi anglaise se rapporte a Ia premiere partie, a la seconde, ou aux deux. Ceux qui connaissent l'Angleterre ne s'y trompent pas ; ils savent que trial by jury reste la regle outre- Manche. Mais in confusion subsiste dans l'esprit de la majorite.

Que pent faire une minorite eclairee pour rectifier les erreurs d'une forte majorite ignorante ? II y aurait la une occasion d'apostolat des plus meritoires. Mais, comme pour tous les apostolats, it faudrait y consacrer la majeure partie de son temps et de ses moyens. Et puis rien ne prouve que la majorite ignorante accepterait les rectifications de l'apOtre. A en juger par certains indices, il y a lieu de croire tout le contraire.

II existe depuis quelque temps Is Paris d'interessantes reunions ou l'on communique les informations de la joumee Is un auditoire qui ensuite pose des questions pour amorcer une discussion generale. Ces fours-ei, dans une reunion de ce genre, on parlait beaucoup de l'Angleterre et de sa politique. Le directeur du &bat repetait " Le gouveinement anglais dit ceci," " le gouvemement anglais dit cela," quand un auditeur s'exclama " Le gouvemement anglais c'est une chose ; le peuple anglais c'est autre chose." L fut applaudi ; on imposa silence Is quelques protestataires.

Leeteurs anglais, que pensez-vous de cela ? Tandis que, fideles a vos traditions de gouvernement, vous considerez qu'en Espagne le cabinet Caballero represente la volonte de la majorite, des Francais restent convaincus que vous vivez vous-memes sous un regime minoritaire. Comment detromper des gens bien intentionnes, mais bien ignorants, qui ne tolerent pas la contradiction ?

Ce n'est pas tout. Au cours de cette reunion on vint Is parler de l'Intelligence Service. Vous ne pouvez imaginer la place qu'occupe l'Intelligence Service dans l'esprit des Francais ; it parait, du reste, qu'il en est de meme dans Bien d'autres pays. Chez nous, en tout cas, on ne saurait compter tous les articles, tous les livres dans lesquels il figure. On le represente generalement comme une puissance occults que l'on retrouve dans les spheres intemationales derriere touts negotiation, toute intrigue, toute complication. C'est la version moderne de la " perfide Albion " de jadis.

Or un autre interrupteur declara " Le veritable pouvoir en Angleterre, c'est l'Intelligence Service qui le &tient. A tel point que son chef possede tin clef—un clef en or--qui lui permet d'entrer chez le roi comme it vent." Un sceptique

hasarda " Pourquoi en or ? " La reponse fut nette.: " Comme signe de sa puissance ! " Cela mppelle Victor Hugo, qui ecrivit taut de sottises sur l'Angleterre. Cette clef d'or ne deparerait pas certains episodes de Marie Tudor ou de rHomme qui rit.

Hugo ecrivait ces oeuvres il y a un sidle. Depuis nous ne paraissons pas avoir appris a miens connaitre l'Angleterre. Comment y rem edier ? Oh sont les apotres ? Et comment les encourager ? II y a certes des hommes de bonne volonte. Comment les grouper ? Devant cent personnes qui ne veulent pas entendre, que peut le contradicteur isole ? En cette occurrence, de guerre lasse it fila . . . a l'anglaise.