6 NOVEMBER 1936, Page 17

Ce Que Parler Veut Dire

[D'un correspondant parisien] IL m'a ate possible de profiler des derniers beaux jours pour mettre it execution un projet deja ancien de pareourir au Moult; une region de la France atilt d'y prendre contact avec cc qu'on appelle " la province " pour l'opposer a Paris. Le chemin de fer m'ayant &barque a quelques militates de kilometres de la capitate, j'errais ensuite it pied, sac au dos. J'ai trouve de cette facon bien des sujets de meditation.

Des l'abord je me rendis compte qu'en dehors des contrees denommees " touristiques " on ne voyage plus it pied. Meme dans les coins les plus desherites l'automobilc a trans- forme les mocurs paysannes. Beaucoup de cultivateurs ont une voiture, de troisieme ou quatrieme main : ceux qui n'en ont pas vont au =retie en autobus. Le pie tun it besace fait figure de Huron. Quoi qu'en puisse !tenser le ministre des finances, ces moclestes bagnoles ne soot pas des signes exterieurs d'aisance." Car si tout le monde parait router carrosse, ce n'est que facon de parler.

" Facon de parlor explique la province nouvelle maniere. Au temps des diligences. qui nest pas si lointain, il se pro- duisait tout comme maintenant des mouvements d'idees qui agitaient la capitate. Le provincial n'en recucillait (etal echo tamise ; it lui etait loisible de juger en philosophe, au-dessus de la melee. Aujourd'hui, en raison des com- munications rapides, en raison surtout du developpement des journaux regionaux, les idees s'entre-choquent it Paris et en province simultanement et aver autant de passion. On discute avec fievre, done sans detachement ; on parte avec hate, done sans reflexion. II y a longtemps qu'it Paris on abuse de toutes ces fawns do parler ; maintenant en province egalement on commence it ne plus savoir exactement cc que parlor veut dire.

Un critique louait recemment la limpidite des discours de M. Leon Blum ; it l'expliquait par l'absence d'epithetes. C'est exact. Mais le president du conseil lui-memo a recours parfois it ces " omentents " qui alourdissent sans &taker et qui, chez d'aucuns, semblent servir surtout it deguiser la pensee. Ainsi ii disait naguere : " Les congas payes avaient donne it toute la vie locale francaise conune un frisson joycux." Puisque precisement je voulais etudier sur place la vie locale, j'ai recherche les traces de ce frisson. Le resultat fut inat- tendu. Dans cette partie de Provence que Petrarque aimait pour son calme et sa douccur, le chemin &aft jalonne d'inscriptions agrementees de families et de marteaux. De kilometre en kilometre on lisait sur les mum : " A mort les proprios ! " ou bien " Vive la guerre civile ! " Il y en await taut qu'on pouvait se demander si le scripteur n'avait pas consacre tout son conga pay( it une propaganda de haine. Plus charitablement on pouvait supposer que, tout simple- ment, it y voyait des clauses destyle, comme disent les notaires.

Les clauses de style de ce genre tendent a fausser toute notre vie publique. Ceux qui les composent savent les reconnaitre ; c'est rarement le cas de ceux qui les repetent. Tons, nous comprenons les termes : egalite, droit, ordre, liberte. Mais qu'est-ce que " l'egalite republicaine," ou "le droit democratique," on " l'ordre populaire " ? Quant aux

" libertes meridionales," appris it Nimes qu'il s'agissait de mettre it mort des taureaux, contrairement it la loi.

Les facons de parler sevissent partout. Au tours de mon excursion j'ai fait la gamme des hacks. J'en suis arrive it preferer les moins prometteurs. Pent-etre y est-on moires bien loge, mais par contre it y a moins de surprises. " Eau courante, chaude et froide " pent signifier qu'il y a un lavabo de ce genre dans le vestibule, mais aucun dans les chambres. L'annonce n'est qu'une clause de style. Dans les cafes de certaine ville des affiches proclament in suppression du pour- boire, " dorenavant compris dans le prix des consontma- tions." Le garcon me confia qu'en effet it n'acceptait plus de pourboire, " mais rien n'empeche monsieur de laisser unc gratification." L'affiche n'etait qu'une facon de parler. " Defense de furner " en est une autre. Dans l'autobus c'est souvent le chauffeur qui donne le tnauvais exemple.

On se lamente que les Francais ne se comprennent plus. C'est peut-titre pare( quits ne parlent pm tons Is memo langue. Trop de mots ont change de valeur. De tom dotes on preche l'union. L'unffication la plus urgente nc serait-elle