7 APRIL 1939, Page 17

SOEURS LATINES

'un correspondent parisien]

POURQUOI la France et l'Italie n'arrivent-elles pas a se com- prendre? Ne repete-t-on pas a Lout propos qu'elles sont soeurs? Serait-ce precisement de cette parente que naitrait le desaccord? Le fait est que depuis l'avenement de l'Italie tutifiee, it n'y a eu entre elle et la France qu'une longue bouderie, entrecoupee de breves reconciliations.

Un libraire parisien, soucicux d'actualite, a groupe dans ses vitrines des estampes contemporaines de Solferino et de Magenta, alors que Piemontais et Francois fraternisaient pour bouter dehors l'Autrichien. L'homme de la rue, qui ignore l'histoire man qui se souvient neanmoins de certaines phases de la Grande Guerre, en deduit que l'Italie est in- grate. C'est qu'il ne comprend rien a la politique. Car c'est la politique seule qui separe les deux pays. Dans un article de revue nous relevons cette phrase: " On pourrait avancer que, politiquement, les Italiens sont aussi gallophobes qu'ils sent, sentimentalement, francophiles. II est vrai qu'ils pour- raient tout aussi bien nous retourner le compliment ! " C'est proche de la verite.

Il y a beaucoup d'Italiens en France, pres d'un million. A part une infime minorite d'intellectuels politiciens, ce sont des travailleurs manuels. Generalement laborieux, sobre et econome, l'ouvrier italien jouit de l'estime de son patron et de la sympathie des ses voisins. Il se trouve bien en France, a en juger par le peu d'empressement qu'il mani- feste a rejoindre la mere patrie, malgre les exhortations de Rome.

S'il y a peu de Francais etablis en Italie, par contrc le nombre de touristes est assez considerable. La tradition du voyage de noces a Venise reste vive chez notre bourgeoisie. Or, tous ces touristes n'ont que louanges pour l'accueil qui leur est reserve par dell les Alpes. Un de nos amis, voyageant en groupe avec des Anglais, croyait mEme discerner une certaine nuance dans la reception—un peu plus de chaleur envers les Francais. Deja en r888 un journaliste parisien ecrivait : " Le peuple italien manifeste sea sentiments veritables pour la France et il se trouve que ces sentiments ne soot point du tout l'hostilite preconcue qu'une certaine presse s'efforce sans cesse de creer." En cette meme armee Guillaume II alla a Rome ; le peuple lancait des petits papiers seditieux: Viva le Francia!

Alors I quoi riment ces coleres officielles, ces gros yeux, ces " abondants crachats a la figure "? Its ne font qu'envenimer les choses. Aux injures repondent d'autres injures. Et les polemiques de presse de rencherir sur le tout. En France il y a deux explications courantes: D'une part depit et de l'autre necessite de detourner l'attention de graves problemes interieurs. C'est possible, mais cc n'est pas tout. II faut considerer l'attitude politique des gouvernements respectifs.

La France insiste volontiers sur son role d'ainee, ainsi que sur toutes les prerogatives qui en decoulent. La cadette regimbe ; elle ne veut pas Etre Cendrillon. Elle est majeure maintenant et entend Etre consideree. Le ton se hausse. De la rue on percoit des eclats de voix. La discussion tourne I l'aigre lorsque la cadette reclame certains cadeaux qu'elle fit autrefois. Lorsque les interets sont en jeu, les disputes devien- nent apres. L'ainee refuse. Alors l'autre sort en faisant claquer les pones et se refugie chez la voisine allemande. Sa soeur lui crie : " Puisque c'est comme ca, je vais inviter mon amie russe a prendre to place I la maison."

Voila soixante-dix ans que cola dure. Deja en 1882 l'Italie se jetait dans le bras de l'Allemagne. Elle comprit bientot que sa place dans la Triple Alliance n'etait qu'une vassalite humiliante. Elle chercha a s'emanciper, si bien qu'en 1914 " l'axe " se rompit—le nom n'etait pas invente mais la chose existait. En 1935 " l'axe " fut repare. Repondra-t-il a tous les espoirs de l'Italie? L'histoire le dira.

L'histoire dira aussi, sans doute, s'il n'aurait pas ete pos- sible de dissiper la brouille depuis 1935• Non nas qu'il fallait alors, pas plus que maintenant, ceder devant la petulance. Un geste aurait suffit peut-titre. La politique s'y opposa. Pourtant, il y a quatre ans, la reconciliation latine aurait permis d'esperer la reorganisation de l'Europe, la France faisant la liaison avec l'Angleterre et l'Italie avec l'Allemagne. Tandis qu aujourd'hui.