7 MAY 1937, Page 22

POUR RETABLIR L'EQUILIBRE

[D'un correspondant parisien]

Les Chambres siegent de nouveau apres une courte treve. Que sortira-t-il de cette reprise ? En politique ii faut toujours s'attendre aux surprises, surtout lorsque l'economique domine la situation. II y a un an que les electeurs portaient au pouvoir un gouvemement de Front populaire et que cornmencait cc gull est convenu d'appeler l'experience Blum. Au Parlement conune ailleurs, la question se pose aujourd'hui : Que noun a apporte cette experience? Des reformes qui resteront, disent les uns ; un desordre plein de menace, disent les autres. Sans chercher a les departager, le philosophe s'inquieterait plutelt du des equilibre qui l'accompagne, aussi bien dans les esprits que dans les choses.

De bonne foi, il faut reconnaltre non seulement que l'experi- ence n'est pas encore complete, mais aussi que certains de sea effets sont necessairement a longue echeance. Par contre, elle s'est developpee a une allure si rapide et si saccadee, fallait bien tine pause pour eviter le vertige. Du reste, meme apres quelques semaines d'arret, des tetes tournent encore. Si d'aucuns s'accommoderaient volontiers d'un repit prolong& d'autres, grises par la course, voudraient alter plus vite encore. L'opinion est en desequilibre et c'est precise- ment cc qui peut amener des surprises. Dans bien d'autres domaines le desequilibre saute egalement aux yeux. Il est donc loisible de le signaler, sans pour cela faire oeuvre de polemiste.

S'agit-il de commerce? Le deficit de notre balance corn- merciale ne fait que croitre, puisque la devaluation n'a pas reussi a stimuler les exportations. Les recouvrements budget- aircs depassent les previsions, mais c'est grace it l'augmentation du produit des douanes, en raison de l'accroissement des importations. S'agit-il d'industrie ? La semaine de quarante heures reduit la production et augmente les prix de revient, si bien que plus d'un patron se voit contraint de fermer sa maison. Quant aux detaillants, plusieurs dizaines de milk se reunissent it Paris pour signifier que, dans l'experience Blum, us n'entendent pas servir de cobayes.

S'agit-il de finances, tent publiques que privees ? On trouve tout naturel qu'un ministre fasse etat des recettes de la Loterie nationale quand il enumere les signes precurseurs d'une reprise des affaires. Des son admission it la Bourse, le nouvel emprunt de la Defense nationale est cate au-dessous de son taux d'emission. Quand la Ville de Paris lance tin emprunt it son tour, elle doit l'offrir a 91 et ,payer 51 pour cent d'interet. Les prix des denrees ne cessent de monter, quoi qu'en fasse le Comite n Mortal de surveillance. Le travailleur a beau gagner plus, son saltur. e va moms loin. Faute d'equilibre, la menagere ne peut etablir son budget, ni l'entrepreneur presenter un devis. Sur le plan social, la semaine de cinq jours entrave l'embauchage des ch6meurs.

Les nouveaux loisirs ne sont guere mieux equilibres. Ii y a des ménages oil les enfants cut conge le jeudi, le pere le samedi, la mere le lundi ; la famine au complet ne petit sortir que le dimanche, exactement conune par le passe. Puisque les banques ferment le samedi, le pere touche sa paye le ven- dredi ; mais la mere ne sait quel jour faire sea emplettes main. tenant que les magasins ferment le lundi en plus du dimanche. Toute La semaine acheteurs et vendeurs semblent jouer cache-cache.

S'agit-il des esprits ? A Lyon tine bande de gamins lapide un ecolier de neuf ans parce montait use belle bicyclette. Avenue de l'Opera un individu mtmi d'un diamant de vitrier s'amuse a rayer les glaces de toutes les devantures. Sur les chantiers de l'Exposition, un officier de pompiors manque de se tuer- parce qu'on avait scie it moitie la planche conduisant au drapeau rouge qu'il emit charge d'enlever.

Pour retablir l'equilibre des choses, le travail dans le calme petit suffire. C'est cc que le president du conseil appelle la pause. II a.clecide de la prolonger et son experience ne peut qu'en -beneficier. Quant aux esprits, ii faut combattre tine tendance vers Yincliscipline et l'inconscience dont les causes initiales remontent plus loin que le cabinet actuel. Id aussi le calme fera .du bien. Mais le desequilibre persistera tant que, clans n'importe quelle dasse de la societe, on oubliera n'y a pas- de drafts sans devoirs. -