12 FEBRUARY 1937, Page 21

" ART ET TOURISME "

[D'un correspondent parisien]

WILLIAM BLAKE et J. M. W. Turner—c'est un debut prometteur. It s'agit d'une exposition a la Bibliotheque nationale, premiere manifestation a Paris d' "Art et Tourisme," cette replique francaise de l'association anglaise Art and Travel. Nous avons trop souvent deplore ici-meme la meconnaissance de l'Angle- terre pour ne pas louer l'effort de ces groupements gemines qui voudraient aider les deux pays a mieux s'apprecier. (Une reserve porterait sur la traduction de travel par " tourisme," mais ce n'est pas le moment d'insister sur de tels details.) Simultanement " Art et Tourisme " patronnait le przmiere representation de Jules Cesar au theatre de l'Atelier. Blake, Turner, Shakespeare—en verite nous sommes combles.

Ce fut une idee excellente que de reveler Blake aux Francais et de leur rappeler le genie de Turner. Pour trop de nos compatriotes la peinture anglaise se borne a Gainsborough et

Reynolds et aux estampes de chasse a course. la litterature a Shakespeare, Walter Scott, Dickens et le K Alin; des Livres de la Jungle, la musique a Tipperary. (Signalons en passant que nous connaissons Gulliver sans Swift et Crusoe sans Defoe.) Ceux-la n'auraient pu croire a tant de poesie virile, si eloignee de ces fadaises que nous imaginons essentiellement anglaises parce que nous les appelons " keepsakes."

Cette exposition nous ouvre les portes d'un waste domaine. Sachons !'explorer et il nous reservers autant d'enseignements que de surprises. Le John Bull des caricatures—hatoas-nous de rappeler qu'il a ete invente outre-Manche—sert a fausser nos conceptions. Nous voyons dans ce personnage un etre surtout utilitaire, preoccupe de jouissances materielles, humo- riste et sentimental sans doute, mail si peu poete.

C'est que nos langues different tant, sans parler de no caracteres. Dans Shakespeare, par exemple, le drame nous etreint toujours, mais trop souvent la poesie nous echappo.

C'est pourquoi, vraisemblablement, nous en avons moins de traductions que d'adaptations oil le metteur-en-scene trouve surtout les elements d'un spectacle. Dans Jules Cesar, a

l'Atelier, M. Charles Dullin a des trouvailles etonnantes. Mais plunk que dans le texte it therche la poesie dans les artificea- le petit olivier qui s'agite au-dessus d'un mur pour indiquer l'ouragan sur Rome. En France, il est vrai, Shakespeare ne peut guere se passer de decors puisqu'il nous est difficile de rendre la magie de ses vers. Pourtant, si grand dramaturge qu'il soit, il est encore phi; grand poete.

La simple ebauche d'une comparaison des deux litteratures depasserait singulierement les limites d'une chroniquc et reclamerait en outre une science a laquelle nous ne saurions pretendre. Il nous semble neanmoins—c'est une impression toute personnelle—que chez l'Anglais la poesie souvent est plus naturelle, plus pros de la vie, moins cerebrale et livresque que chez le Francais. C'est sans doute une question de race et de tradition, aussi bien que d'education et de milieu. Quoi

qu'il en soit, it n'y a pas lieu de s'attarder aujourd'hui aux discussions academiques, mais pint& de rechercher 1:s occasions qui permettent de mieux se comprendre entre peuples.

Il y a donc lieu de feliciter les Francais qui en nombre toujours croissant vont visiter l'Angleterre. On annonce que l'an

dernier ils furent rzo,000, chiffre jamais atteint auparavant. Maintenant qu'on nous apporte les tresors de vos musees et de vos galeries, nul doute que le nombre n'augmente encore, car il n'y a pas de meilleure invitation au voyage. D'autre part, esperons qu'il y aura lieu de se rejouir de voir beaucoup d'Anglais venir chez nous pour !'exposition qui s'ouvrira au mois de mai.

Nous sera-t-il permis de suggerer a Art and Travel que nous aimerions connaitre vos modernes aussi bien que von classiques,

vos sculpteurs aussi bien que vos peintres ? II ne faudrait pas non plus oublier vos architectes ; en fait d'architecture anglaise nous en sommes toujours aux cottages el aux villas

et nous ignorons tout de vos monuments mouernes. ' La musique, elle aussi, reste, terre inconnue. Autre suggestion :

D'excellents conferenciers nous ont parte de Blake et de Turner.

Mais c'etaient des Francais qui, naturellement, nous donnaient d'eux une conception francaise. Faute de critiques anglais s'exprimant dans notre langue, it serait interessant de faire traduire des conferences on vos hommes celebres nous seraient presentes dans une ambiance anglaise. En tout cas, nos meilleurs ,voeux accompagnent le nouveau mouvement.