13 JANUARY 1939, Page 17

QUELQUES CONTRASTES

[D'un correspondent parlsien] Point cette fois, passons la plume a un ami. Pendant les fetes il s'etait rendu en Angleterre, qu'il a bien connue dans sa jeunesse mais cal il n'etait pas retourne depuis pros de vingt ans. Tant de changements ont marque cette periode que ses observations ne manquent pas d'interet :-

" J'ai note pas mal de contrastes, nous ecrit-il, mais d'abord une similarite. Comme en France, theatres, cinemas et autres lieux de plaisir regorgeaient de monde. Pourtant les charges ftscales sont lourdes en Angleterre aussi, le chemage persiste et le probleme de la defense nationale ne laisse pas d'inquieter. Il faut croire que les distractions servent surtout de derivatif, comme c'est le cas chez nous. Cependant la vie semble chore si l'on tient compte du change. Un penny, somme toute, represente soixante-quinze centimes de noire monnaie, et des pennies on en distribue toute la journee. Nous nous plaignons a Paris de l'abus du pourboire ; a Londres c'est encore pire. Quant aux prix, le taxi londonien, par exemple, est inabordable pour un Parisien, avec sa prise en charge de neuf pence (pros de sept francs) en comparaison de nos cinquante sous.

" Passons aux contrastes. Il m'a semble qu'aujourd'hui la circulation est plutot moires intense dans les rues de Londres que dans celles de Paris. C'etait le contraire naguere. En revanche, les conducteurs de vehicules restent plus disci- plines que ceux de chez nous. L'Anglais n'a pas noire tem- perament ; it respecte les reglements meme s'il les desapprouve. Pour s'en convaincre it suffit de voir comment, dans des endroits deserts oa n'apparait nul policeman, les voitures s'arretent docilement aux feux rouges. De meme, sur les grandes routes, peu d'automobilistes depassent la vitesse imposee pour is traversee des agglomerations. Il convient d'ajouter, il est vrai, que les tribunaux anglais appliquent le code de la route avec severite, tandis que le Francais escompte toujours l'intervention du depute ou du conseiller municipal pour faire lever la contravention.

" Le visiteur qui se retrouve en Angleterre apres tant d'annees s'etonne du developpement continu de is banlieue des grandes vines. La aussi le contraste est frappant. Du point de vue de l'esthetique le systeme anglais a du bon, malgre h monotonic de routes ces voies bordees de villas identiques. En France noire individualisme s'accommoderait mal du speculative builder. Chacun entend batir a sa guise. Il en resulte que si nos banlieues presentent plus de diversite, elles sont par contre trop souvent hideuses.

" L'athomobile, agent essentiel de ce developpement suburbain, a amene en meme temps une autre transformation frappante--celle des tavernes campagnardes. Quand j'habitais l'Angleterre, it y a plus de quarante ans, la public house (ne pas confondre avec l'hOtel) n'etait guere ' respectable.' De ce fait elle ne payait pas de mine ; certain n'y entraient que furtivement. Roulant l'autre jour sur les routes de Warwick- shire et de Worcestershire, je demandais a mes hdtes : Qu'est-ce que ce batiment aussi elegant qu'imposant ? Ecole, hotel de ville ? ' Its repondaient ' Red Lion ' ou ' Barley Mow.' Et now nous y arretions pour prendre le the. En France nous n'avons rien de comparable. L'automobile a bien incite mainte auberge a se metamorphoser en hos- tellerie ' a nom ronfiant et decor tapageur, mais ce n'est pas du tout la meme chose.

" Autrc contraste. On discute beaucoup plus en Angleterre qu'en France des possibilites d'incursions ennemies. C'est du reste assez naturel dans les circonstances. Les Francais ont vu trois invasions en cent ans ; ils sont donc immunises contre is fievre obsidionale, si l'on peut dire. 11 m'a semble, par contre, que l'Anglais, dans routes les classes de la societe, reste sous l'effet du choc produit par Is constatation que l'insularite n'est plus une protection. Mais comme l'esprit civique demeure au nombre des traditions nationales, des groupes se forment partout pour cooperer avec les autorites. Now avons aussi de ces groupes en France, mais le mouve- ment a moire d'ampleur . . . et il n'est pas toujours encourage en haut lieu.

" It serait facile de prolonger cette enumeration. Ce ne sont pas les points de difference qui manquent. Des plumes autorisees en ont signales depuis longtemps. Rejouissons- nous d'ailleurs de leur persistance, car autrement, et maigra le proverbe l'entente ne serait peut-etre pas aussi cordiale.”