Le Bourgeois Proletaire [D'un correspondant parisien] SANS doute les historiens
de la Troisierne Republiqua fixeront-ils au 7 juillet 1986 le commencement de la fin de
l'experienee du Front populaire. Certes, le gouvernement Blum est encore au pouvoir ; il est probable qu'il y resters pendant lea vacances ; il pent meme y continuer assez longtemps apres. Mais de 7 juillet il cessa d'être l'agent d'execution d'une revolution pour devenir, comme sea predecesseurs, un simple cabinet de coalition, anime du desk de darer, mane au prix d'une renonciation de principes.
Un mois a suffi pour decrire la courbe. Au debut de juin le cabinet Blum reconnaissait aux travailleurs le droit de " s'installer " dans les usines, d'oit il refusait de les deloger ; au debut de juillet it reconnaissait aux patrons le droit de propriete et s'engageait a mettre un terme a toute nouvelle " occupation." Et cet engagement &sit prix au Skutt ; ce Sena issu du suffrage restreint que l'extreme-gauche a toujours voulu abolir parce qu'il n'est pas d'emanation populaire. Par sureroit, le cabinet accepts un ordre du jour duquel le mot " confiance " etait exclu. Autrement it eut etc rowers& II n'y pas lieu de s'etonner de ce resultat. Les lecteurs du Spectator, entre autres, y auront etc prepares par ces ehroniques bimensuelles oil, sans quitter robjectivite, on signale
les effets surtout pour en rechercher les causes. La presse quotidienne est un merveilleux instrument d'information, mais son role est surtout de presenter les faits. En conse- quence les mobiles souvent lui echappent. Un recul dans le temps permet de retablir in perspective.
Avec ce recul,_ que trouvons-nous en France ? Le seer& taire-general du parti communiste, M. Marcel Thorez, nous met sur la voie quand il dit : " Nous sommes des Jacobins qui voulons imposer la volonte de In majorite." C'est Blair, a condition de repondre d'abord a la question : " Oils est la majorite ? "
Considerons quelques chiffres. Il y a en France quarante millions d'habitants, dont seulement douze millions d'elec- teurs. Avant les elections, le parti communiste, de son propre aveu, ne depassait pas 120,000 membres ; le parti socialiste, plus discret quanta ses effectifs, ne devait pas etre beaucoup plus nombreux ; la Confederation generale du Travail se targuait d'avoir 2,500,000 adherents. C'est loin de la majorite jacobine done se reelame M. Thorez.
Evidemment ce qu'il vent dire c'est qu'it in Chambre it y a 380 representants du Front populaire contre 230 deputks nationaux. C'est impressionnant, mais ce n'est pas con- clusif. Car, si l'on se reporte aux resultats des elections, it ressort d'abord que les socialistes et communistes n'ont groupe que trois millionsd'e lecteurs, et ensuite, que recart entre la totalite des suffrages de gauche et d'extreme-gauche et in totalite des suffrages du centre et de droite ne depassait gu ere le million. Autrement dit, il suffisait par la suite de &placer une voix sur douse pour entraver In progression des Jacobins de M. Thorez. C'est ce qui s'est produit.
Sur .le papier, il y: a toujours a la Chambre 380 deputes d'une part et 230 de l'autre. Mais les deputes, par km* agents et leurs comites, sont mieux places que quiconque pour evaluer les imponderables qui determinent les reactions dui corps electoral. Its ont vu reclosion, tant it' gauche qu'a droite, de nombreux partis nouveaux, tons anticommunistes. -Rs voient certain radicaux, non des moindres, mener une campagne violente contre les contmunistes. A In Chambre mane, ils ont entendu le-maire socialiste de Marseille protestet contre ringerence moseoutaire ; traduit in barre de son parti, on n'osa lui infliger un blame.
Tout indique qu'aujourd'hui 'au Front populaire In droite radicale a peur de la gauche communiste. Or, la droite radicale represente plus particulierement cet etre paradoxal issu des bouleversements d'apres-guerre--le bourgeois prole- take. En dehors des partis, des groupes, des syndicats, en dehors de la Chambre, c'est le bourgeois proletaire qui &tient la majorite. En tant que, proletaire it pousse une pointe a gauche ; pufs, en tant que bourgeois timore, ii revient a droite pour applaudir a la sagesse du Sena.
Le bourgeois proletaire ne fait pas les revolutions, mais 11 est toujours le premier a en souffrir. C'est lui qui a ralenti l'experienee Blum ; c'est lui qui decidera de la duree du ministere.