AUTOUR D'UNE VISITE
[D'un correspondent parisien] " Et que par la chanson, le livre et l'ecritoire
11 s'en aille a jamais de memoirs en memoire, Et de bourgade en ville,
Le nom de messire Neville Chamberlain."
DONC M. Chamberlain sera a Paris dans quelques jours. 11 y recevra un accueil emouvant. Pourvu que le service d'ordre reste discret, des milliers d'humbles gens patienteront des heures pour voir passer " l'obstine pelerin." Mme. Chamberlain partagera les acclamations, car les Francais se souviennent de son rile au cours de la crise. 11 faut se rejouir . de cette visite sans apparat d'un couple bourgeois entre vivant dans la legende. Et it faut adjurer le Premier de ne pas se separer de certain parapluie devenu symbolique !
Des le lendemain de Godesberg c'etait l'emballentcnt irraisonne. Par son geste un homme avail arrete la guerre. II fallait magnifier ce geste sans carder. Chaque commune s'inquietait d'avoir sa rue Neville Chamberlain, sinon sa rue du 3o septembre, 1938 ; des souscriptions s'ouvraient pour offrir routes sortes de presents, y compris une demeure sur la terre de France. M. Chamberlain, on le sait, ne demandait qu'A refrener certaines manifestations destinees peut-etre a glorifier les promoteurs autante que le recipiendaire.
Du reste, la fugue se moderait biennit, en meme temps que les listes de souscripteurs. s'amenuisaient.
Non pas qu'on oubliait le courage moral de M. Chamberlain, ni ses consequences. Loin de la. Un poeme de Tristan Klingsor en temoigne, comme l'indique le passage cite en tete de cette chronique. On nous communiquait ces jours-ci Ia lettre qu'une vieille paysanne alsacienne ecrivait A son fils Paris. Elle faisait plusieurs allusions au lieber Herr Chamberlain —Ia brave femme ne comprend que l'allemand. Ce n'est qu'un exemple entre mille. Dans la plupart des families francaises c'est avec admiration et gratitude qu'on parte du Premier Ministre. Cela vaut mieux qu'une plaque au coin d'une rue. Nous les changeons si souvent !
Neanmoins, it va de soi qu'on n'a pas invite M. Chamberlain uniquement pour le faire applaudir. II aurait refuse sans doute de figurer dans un triomphe. Ce n'est pas non plus simplement pour converser, quoique les sujects de conver- sation ne manquent pas. On vous dira que M. Daladier a send la necessite de renforcer une situation personnelle ebranlee par ses propres hesitations et par les divergences de ses ministres. C'est possible, voire probable. On a tant reproche A nos ministres de Sc rendre trop docilement a Londres que maintenant on leur decerne un bon point pour avoir amens les Anglais A Paris. Mais it y a plus que cola. La visite de M. Chamberlain, a.ccompagn6 de lord Halifax, est destinee surtout a souligner, pour ''opinion publique, 'Importance capitale des questions internationales a l'heure actuelle.
En effet, les discussions partisanes nous absorbent tellement que nous perdons de vue leur influence sur les relations exter:- cures. II faut un coup de tonnerre pour nous la rappeler. Puis, l'orage, passe, nous oublions de nouveau. En outre, nos innombrables groupes et sous-groupes entravent is con- tinuite de l'action diplomatique. Trop souvent nos cabinets resultent de dosages, de marchandages, de combinaisons electorales. Necessairement it leur faut louvoyer pour darer. C'est la negation de l'action, aussi bier que de l'autorite. Les prejuges de politique interieure peuvent avoir a l'etranger des consequences incalculables. C'est ce qui s'est produit avec ''Italic.
Le systeme issu de Versailles s'est eeroulc et it est probable que la France en ressentira longtemps les contre-coups.
Surprise par les evenements, it lui faut maintenant s'oricnter vets de nouvelles voles. L'opinion reclame un redressement ; it importe de lui faire comprendre que la tache ne s'arrete pas aux frontieres. Des plumes autorisees rappcllent actuellement dans la presse qu'afin de ne jamais manquer a ses engagement ; it faut les ajuster a ses moyens, et qu'en outre it faut que les possibilites militaires concordent avec les buts vises par 1.t politique exterieure.
Cet exposé, direz-vous, abonde en lieux communs. C'est juste. Mais le somme des lieux communs nc constitue-t- elle pas ce qu'on appelle la sagesse des nations ? II est done a souhaiter qu'ils abonderoni egalernent dans les conversations de M. Daladier avec M. Chamberlain.