La Litterature Francaise
d'auj ourd'hui
fD'ux CORRESPONDANT FRANcAIS.] PRESQUE toutes les gloires d'avant-guerre ont dis- paru ; sauf le philosophe Bergson, tons ceux qui stir% ivent, eomme M. Bourget, sont oublies de la jeunesse. Les plus grandes reputations aetuelles se sont creees Bans les trois ans qui ont suivi In gueere—soit parmi les meconnus d'avant la guerre, tels Gide et les poetes Paul valery et Paul Claudel, soit parmi les hommes qui ont maintenarit entre quarante et einquante ans. C'est a ce moment que, se sont reveles le don de &mire eclatant et brusque de Paul Morand, la tendresse inquiete du medecin Dultamel, souple et rapide de Maurois, l'ilpre verve comique de Jules Romains, l'ironique et gracieusefantaisie de Giraudoux, le pathetiqUe sombre et tendre de Mauriac.
Ces ecrivains ne sont absolument pas group& en ecole ; et ceux qui avant la guerre, comme Jules Romains et Georges Dubamel, appartenaient a l'ecole " unanimiste " sont aujourd'hui les plus individualistes de tous. Presque tous ont collabore a. la Nouvelle Revue francaise, mais cette revue ne represente plus, comme avant la guerre, un groupe d'independants puritains ; elle a admis, depuis son adoption de Marcel Proust, (dont de passage dans la litterature mete rapide et eblouissant comme une compte, car it n'y a que quatre ans entre sa gloire et sa molt). a peu pros tous les bons ecrivains de cette epoque. Chaeun ne represente que lui—et les amities personnelles ne signifient pas du tout ressemblancc litteraire : le sage, sain et classique Roger Martin du Gard est le plus grand ami du complexe et raffine Andre Gide. De meme, in settle femme ecrivain a qui l'on accords du genie, Madame Colette, est a part de tous les groupes.
Derriere cette generation triomphante, on pouvait eroire, entre -1921 et 1930, qu'une autre allait suivre bcaucoup de jeunes gens d'une vingtaine d'annees sem- blaient annoncer du genie et le succes les atteignait Eux refcirmaient des ecoles groupe dada, puis groupe surrealisme, epris de negations violentes, de lyrisme, et souvent d'une superbe insolence, d'une foi absolue en la jeunesse. Peut-titre est-ce cette foi en la jeunesse qui les a empeclies de bien vicillir. Aragon, le mieux done de tons, dont le style eblouissant et impertinent rappelait le dix-huitieme siecle, est tombe dans les pamphlets politiques et les injures. Philippe Soupault n'ecrit presque plus de livres ; son intelligence prompte et changeante s'est dorm& au journalisme ; Montherlant, le brave a I'espagnole de in jeune litterature, produit fres peu ; Delteil qui await des dons de grand poete en prose, a tout a fait quitte In litterature.- Si bien que les ecrivains d'avenir semblent maintenant ceux dont le stapes a etc d'abord moins eclatant.
Parmi ces derniers, des tendances plutot que des ecoles tendance paysanne avec Andre Chamson, le plus solide de tous, avec Giono, charmant conteur meridional, ou l'amusant et cruel Marcel Ayme. Tendance exotiquc, 8VCC les tragiques communistes chinois de Malraux, les romans et les voyages de Marc Chadourne, ou de Saint- E xupery.
Le fait le plus curieux est celui-ci : la France compte deux tres grands poetes de soixante ans, Claudel et Valery, deux grands penseurs du meme age, Bergson et Alain ; entre quarante et soixante ans, d'eminents poetes encore, Jules Romains, Saint-Leger-Leger, Jules Supervielle—mais pas de penseurs ; la generation de moins de quarante ans ne compte que des romanciers ; elle n'a encore ni un penseur, ni un poete.