Les Livres et les Prix
[D'un correspondant parisien]
CETTE fois encore, delaissons la politique. Ne sommes-nous pas'en periode de fetes ? Le cabinet, it est vrai, se rapproche toujours de la crise qui le menace depuis sa formation. Mais pour le moment c'est la treve des confiseurs. Du reste, it y a d'autres crises ; ce n'est malheureusement pas ce qui manque. Considerons done la crise de fedition et he sort du livre.
Justement on vient de decerner les derniers prix fittkraires - de l'annee, apres le Goncourt et he Fernina. Comme d'habi- tude, les gazettes out consacre a ces evenements d'assez longs articles—autant de lignes qu'aux affaires d'Espagne. C'est dire la place que In chose litteraire continue d'occuper en France. Du reste, echelonnes du Jour de l'An a In St. Sylvestre, it y a hien une cinquantaine de prix litteraires, sans compter In longue liste annuelle de l'Academie. D'aucuns trouvent meme qu'il y en a trop, surtout depuis que eertains groupements se sont avises de recompenser les ouvrages traitant de sujets particuliers, he football et le vin de France entre autres.
Pour la plupart ces prix sont mOdestes ; cinq ou six mille francs Auriol ne vont guere loin. Feu Basil' Zaharbff await bien subventionne un Prix Balzac beaucoup plus fastueux, mais it cessa d'etre attribue au bout de deux ans. A vrai dire, la somme importe moires que in notoriete accoidee au !surest. C'est surtout un- encouragement mbral, mais it reste sous-entendu que he public achetera he 'livre conromie. Sinon, l'auteur ne pourra rehouvekr 'son effort; id fediteifr tenter une nouvelle experience. Or, he livre ordinaire; le livre a quinze francs, se vend vial aujourd 'hui,'spree 'les autres. Avec la vie large d'apres-guerre fedition avait vu un essor sans pareil ; elle yendait ce qu'elle vOulait'ati priX qu'elle imposait. II convient de dire, en passant, quc eels, ne meritait pas toujours l'achat ou la lecture. Main- tenant, avec les washes maigres, non seulement l'acheteur est-il devenu plus eirconspeet, mais le boueher et le boulangee ne lui laissent pas grand 'chose pour he libraire.'
D'autre part, les charges de fediteur ne cessent d'augmenter.
Deja avant les recentes lois dites sociales Papier 'et 'Impression avaient rencheri ; aujourd'hui c'est touts In main-d'oeuvre. A quinze francs, sauf tinge important'
les frais ne sont pm couverts ; un prix superieur on rue trouve plus d'acheteurs. Le probleme depasse he cadre commercial, car c'est la culture qui est menaeee. Dana de resents articles du Mercure de France, M. Georges Duhamel soulignait 'Importance du livre pour la civilisation ; it demontrait que rien de ce qui lui porte tort—periodiques, cinema, radio, etc.—ne pourrait le remplacer. Maintenant que la vie there s'en mole, he danger ne fait qu'accroitre.
L'Anglais, auquel on demande en moyenne Aix shillings pour un livre, pourra trouver quinze francs fort raisonnalble. Mais une simple comparaison de prix ne suffit pm. II nous manque encore en France votre excellent systeme do circulating libraries et autres ; quand nous desirons lire tut ouvrage, it n'y a guere d'autre moyen que de l' acheter. En Angleterre les volumes sont relies ; les notres Kart broehes. Le Francais aime faire relier ses 'lyres a son gout, scion he genre de bibliotheque qu'il aura rassemblee. Inutile de dire que les reliures sont devenues hors de prix.
A quels rem edes peut-on avoir reeours ? Pour he theatre et Is musique, que la crise n'a pas epargnes non plus, le gouvern- e- meat a augments certaines subventions. Mais on ne saurait songer a subventionner les editeurs. L'Etat pourrait certeS
nationaliser " fedition, mais it est a craindre que cela ne ferait pm baisser les prix, mime en vendant a perte. On prete a certaines maisons ''intention de se limiter aux ouvrages tres bon marehe a ''usage des masses. Cela aurait un bon cote, mais it ne peut s'agir que de classiques tombes dans he domaine public. Dans ce cas qu'adviendrait-il des auteurs moderns et de ceux encore ineonnus
Tout s'enchaine. Nom tournons toujours dans he memo cercle. Nom cherchons la paix sociale et le bonheur de tom, mais nous sommes pourebasses par In vie chere._ Beaucoup de Francais estiment maintenant que.e'est he seal problerne qui compte. C'est certainement he cas en ,ce qui concern le livre.