D'U ' NE SCENE A L'AUTRE
[D'un correspondant parisien]
Taus les Francais, toutes les Francaises, ont etc de cocur avec la reine Elizabeth dans sa douloureuse epreuve. Its n'auraient pas ate etonnes, dans cette circonstance, d'apprendre l'annulation de la visite royale. Puisqu'elle n'est que remise, l'accueil de Paris en sera d'autant plus sympathique.
Les decorateurs profiteront de l'intervalle pour revoir les details de leurs plans. Les journalistes et les conferenciers auront le temps de parfaire articles et causeries. Deja ils n'avaient pas manqué de souligner les liens culturels entre in France- et l'Angleterre. Its avaient enumere les ecrivains anglais les plus prises chez nous,, mais, It part Shakespeare, ils avaient paru ignorer les dramaturges. Il y a lit une lacune a combler, car jamais la scene francaise n'a vu tant de pieces anglaises. C'est une veritable menace d'invasion.
. A Paris la raison theatrale prend fin. On pourrait la resumer ainsi : Autant d'oeuvres etrangeres que de francaises ; parmi celles-ci, autant de reprises que de nouveautes. Du cOte stranger, preponderance anglo-saxonne ou toutefois l'Angleterre
distance maintenant l'Amerique. Les courrieristes n'ont cesse d'annoncer : " operate anglaise," ou " comedic adaptee de l'anglais," ou " piece thee d'un roman anglais." Sans oublier Othello It l'Odeon, le Marchand de Venise It l'Opera et Jules Cesar aux Arenes de Lutece. Quelle revanche ! On rappelait ces jours-ci la visite officielle qu'Edouard VII fit It Paris en 5903. A cette époque le theatre parisien faisait encore le tour du monde. C'est la France qui alimentait les scenes de Londres pour une bonne part.
A quoi tient cette transformation ? Certain susses, trap rares peut- etre, demontrent que nous avons toujours des auteurs. Mais Paris a evolue, et le public avec lui. La piece dite "bien parisienne " refletait surtout l'esprit boulevardier ; elle n'a plus raison d'être depuis que le Boulevard a disparu. On fut assez lent It le comprendre, aussi bien chez les directeurs que chez leurs fournisseurs habituels. II fallut pourtant se rendre It l'evidence. Les spectateurs se faisaient rares et les impresarios strangers ne se disputaient plus les droits d'adaptation.
La transformation, du reste, s'etendait plus loin. Paris, certes, avait toujours etc cosmopolite; dans le sens qu'il recevait les cinq parties du monde. Mais it y a un demi-siecle on y venait surtout pour s'impregner d'esprit parisien. Edouard VII, lorsqu'il n'etait encore que prince de Galles, passait volontiers la soirée aux Varietes, le plus boulevardier de tons- les theatres, d'alors. Maintenant que les voyages ont ate popularises, le touriste, moms cultive dans la masse, s'interesse plus aux Bens, It leur vie quotidienne, aux choses de la rue. Il ne vient pas It Paris pour aller au spectacle, ou alors it demande une' piece " conune chez lui."
De son cote le Francais, si longtemps casanier, s'aventuroit au-dela des frontieres. Il decouvrait le monde et s'etonnait do le trouver beaucoup plus vaste que le Boulevard. Non pas qu'au point de vue theatral l'etranger lui fut totalement inconnu. Andre Antoine, Lugne-Poe, entre autres, le lui avaient revels. Mak il s'agissait surtout d'ecrivains tels qu'Ibsen ou Hauptmann, qui cherchaient a resoudre des problemes pluiet qu'a distraire les follies. Dans leurs oeuvres l'action aurait pu se derouler en France ou en Angleterre aussi bien qu'en Norvege ou en Allemagne. Tout cela restait un peu esoterique.
Donc, au tours des annees, Paris devenait cosmopolite dans un tout autre sens. Des apres la guerre—le cinema aidant- il Tut avide d'exotisme. Aujourd'hui, s'il n'a pas cesse de recevoir beaucoup d'etrangers, it n'a plus le meme souci de les marquer de son sceau. Au contraire, it subit volontiers leur influence. Cela tourne a l'engouement. On ne saurait reprocher maintenant aux Parisian d'etre insulaires.
L'observateur d'un certain age peut noter ceci : Jadis Paris adaptait ce qu'il acceptait de l'etranger ; aujourd'hui il se, contente d'adopter. Le " five o'clock," par exemple, fut accommode a toutes les sauces, si l'on pcut dire. On vous invite a prendre le the et on vous -sert- du porto ! Mais le milk bar, derniere importation, a ete transplants sans modi- fication aucune ; tout y est reste authentiquement anglais- enseigne, dispositif, bonnets et tabliers:
Nous voila loin du theatre ! D'ailleurs, si les pieces anglaises interessent les Parisiens, pourquoi s'en plaindre ? C'est toujours de l'Entente Cordiale.