27 AUGUST 1937, Page 16

RgGLEMENTS ET RgALITg

[D'un correspondant parisien]

UN touriSte, Sac au dos, demande une livre de pain dans une boulangerie de village. La boulangere lui explique que c'est jour

de fermeture legale. Devant son insistance elle dit : " Je ne dois pas vendre de pain aujourd'hui. En void pourtant une livre. Je vous la "donne . . mais vous pourrez en remettre le prix à repiciere ,d'en-face." Ii s'agit, bien entendu, de l'application de la loi des quarante heures. L'irtcident est rninime ; ajoute a mile ,autres, Il demontre l'impossibilite de tout regler par decret.

Cette impossibilite souligne l'erreur du cabinet Blum quand II tolera la transformation de la semaine de quarante heures

en semaine de cinq jours. Reparties sur sept jours, les quarante heures n'auraient pas necesiite une reglementation speckle; la production n'en aurait pas moms ete ralentie,- mais sans trop de heurts. Avec le systeme des cinq jours01- fallut bien echelonner le chOmage, car on ne pouvait songer a arreter route la vie du pays pendant quarante-huit heures. D'oir une longue liste de decrets englobant toutes les. professions et tous les corps de métier. Inevitablement des derogations suivirent ; aujourd'hui la liste en est aussi longue que celle des applications.

La vie d'un pays n'est que la sonune de siecles d'experience et d'enseignements. Elle comporte des coutumes locales, des traditions corporatives, mule usages qui echappent au legislateur aussi bien qu'au fonctionnaire chargé d'appliquer

les lois. Vouloir tout reglementer sur le papier, c'est meconnahre les realites. Ii en resulte cc que l'ecolier anglais reproche a la grammaire francaise--aucune regle sans exception. Sans doute paraissait-il simple, par exemple, d'etendre. les quarante heures a la navigation fluviale. Uri conflit recent demontra le contraire. Un compromis est: intervenu, mais les causes premieres demeurent et l'existence de pante ,une corporation reste menacee.

Les transports fluviaux sont assures .d'une ,part par, _des compagnies dont le personnel est salarie, d'autre part par- des artisans mariniers, proprietaires de peniches, achetees generale- ment a credit, qu'ils naviguent avec leurs families..., L va sans dire que la concurrence est Apre. Des que les salaries eurent obtenu le benefice des quarante heures, la situation se compliqua. En raison du temps perdu :aux ecluses_. et des arrets aux ports, les artisans entendent profiter de la tptalite des heures ouvertes A la navigation, de six heures du matin huit heures du soir. Les salaries s'y opposent ; ils voudraient que leurs heures fussent les heures de tous. Les artisans affirment qu'ils ne pourront vivre s'ils ne travaillent que quarante heures. De sorte que les salaries, certainement sans le vouloir, font le jeu des compagnies. Pour l'instant le conflit sommeille. Mais comme les transports fluviaux vont augmenter de prix, le consonunateur est certain d'en path, quoi qu'il arrive.

C'est toujours lui, du reste, qui souffre en dernier ressort. A Paris les chauffeurs de taxi ont hien essay& de le defendre-- une fois n'est pas coutume. Ce fut en vain, mais l'incident vient appuyer la these que la reglementation a outrance, ou etatisme, peut amener des absurdites economiques. Les entreprises de transports en commun—autobus et metro- sont deficitaires. Les pouvoirs publics, responsables du deficit puisqu'ils controleni ces entreprises, deciderent done d'aug- menter les tarifs d'environ quarante pour cent. A ce..taux les taxis devenaient bon marche et leur concurrence etait a craindre. Ils appartiennent A des particuliers, mais les Chambres ont donne pleins pouvoirs au gouvemement Bientot un decret augmentait les tarifs des voitures de place—moyen fort simple d'ecarter la concurrence. Les petits entrepreneurs et les chauffeurs propridtaires de leurs voitures eurent beau protester, meme faire greve pendant une journee, ils n'obtinrent qu'une faible concession ; eaugmentation imposee ne fur pas tout A fait aussi forte que l'augmentation proposee. Les protestataires pretendent nearunoins qu'elle les ruinera. Et malgre tout-tern autobus et metro ne pourront joindre les deux bouts, puisqu'une nouvelle hausse de tarifs est prevue pour la fin de l'annee.

Ii serait aise de multiplier les exemples. Tous prouveraient 'que lorsque les lois artificielles meconnaissent les lois naturelles, il faut, sous' la force des circonstances, reprendre en detail Ce qu'on a accorde en gros. us prouveraient aussi que, devant ia cOmpleiiie de la vie modeme, les reglements les plus courts sont toujours les meilleurs.