CHEVAUX ET CAVALIERS
[D!tin correspondant parlsien]
D'APRES les statistiques il y a en France aujourd'hui a peu pres autant de chevaux qu'avant la guerre. Le cheval aurait donc echappe a la crise. Il faut s'en feliciter, car c'est chose rare. L'habitant d'une grande vile aurait cru le contraire, puisqu'il ne voit plus d'attelages. Quelques fardiers circulent encore, surtout de bon math dans les faubourgs, tandis qu'it la nuit tombante quelques cochers chenus sortent encore de vieux fiacres. Mais peu de citadins ont occasion de les rencontrer, et ce n'est que de temps a autre qu'ils croisent des cavaliers rentrant du Bois. Pourtant—et malgre les apparences—il ne faudrait pas en deduire que c'est surtout le pari-mutuel qui demontre aux Parisiens la survivance de la race chevaline.
C'est dans les campagnes que le cheval resiste, malgre la part faite a la traction mecanique. Le cultivateur a beau pos- seder une camionnette ou une automobile demodee, le cheval n'en reste pas moins son fidele compagnon de travail. Le tracteur, trop couteux, se prete mal a la petite culture. II y a quelques armees le moteur semblait emporter l'avantage, mais l'engouement s'est ralenti avec l'exPerience. On reconnait maintenant qu'il y a toujours place 'pour le cheval, aussi Bien a la ferme que sur le champ de bataille. Si d'une part la defense nationale reclame des diVisions motorisees pour reporidre celles qui pourraient mener une attaque brusqUee, d'antre part il est avere que la. motorisation a ses limites et tie 'saurait repondre a tour les besoins tactiques.
La motorisation totale eut donne le coup de grace a l'eleiage du cheval en France, car les producteurs ne pourraient vivre 'sans l'armee. Elle demeure leur cliente, mais it faudra qu'ils Se conforment aux conditions nouvelles. De mettle qu'il n'y • 'a plus d'attelages de luxe et que le camion remplaCe le gros cheval de trait, de meme la cavalerie, awe son nouveau role, peut se dispenser d'une diversite de montures. Les societes hippiques rurales, de creation recente, semblerit l'avoir conipris, puisqu'elles aiguillent letir.s adherents vers l'elevage de:hetes I 'deux fins, pratiques a la fois pour" la culture et pour l'armee. C'est cc que preconise, du reste, le general Weygand, chez 'qui le grand capitaine n'eclipsa jamais le cavalier averti. Il vient d'exprimer sa satisfaction de voir se reveler, dans des chevaux dont le volume et le poids paraissent les leur interdire, des qualites de. porteurs sOuples et legers dans leurs allures.
Mais it ne suffit pas d'avoir sauve le cheval, it faut s'assurer des cavaliers. Ici non plus la situation n'est pas mauvaise ; apres une periode cal tout " etait pour l'auto, requitation retrouve sa vogue. Dans les maneges le's tours pour enfants sont tres suivis, car les prix sont abordables lorsqifon monte en jroupe. En plus des officiers, les allees du Bois revoient de nombretix cavaliers et amazones, non seulement ceux qui desirent simplemerit se montrer a cheval, mais ceux qui pren- nent leurs progres a coeur. En outre, les diverses societes qui preParent les jeunes gens pour les acmes montees annoncent des escadrons au complet. _ Comme c'est l'armee qui prete les chevaux, ces groupements peuvent reduire les cotisations au minimum ; la reprise hebdOmadaire sous la direction d'instructeurs qualifies revient a environ cinq franc's..
De son cote, le public semble s'interesser vivement aux manifestations equestres. Evidemment le Concours hippique ne voit jamais l'afiluence de Longchamp pour le Grand Prix ;
• neanmoins it y a toujours .foule au Grand Palais pour leS
reprises des ecuyers Sawnur et pour les journees militaires.
Tont cela etain acquis, it reste une ombre au tableau. Aimons-nous le cheval comme il merite d'etre aime ? Le doute est permis en raison d'un recent arret du Conseil d'Etat portant que, conformement aux lois en vigueur, une societe pour la protection du cheval ne peut etre assimilee a celles qui ont " un but philanthropique et social." Il fut un temps oil, en Angleterre, nos charretiers avaient la reputation de battre leurs chevaux comme platre. Nous aimons a croire que les moeurs se sont adouciei depuis. Mais s'il reste des bourreaux, la meilleure arme contre eux ne serait-elle pas une replique francaise de la Society for the Prevention of Cruelty to Animals?